Djarma Acheikh Ahmat Attidjani

Afrique-Moyen Orient: le panier à crabes saoudiens

L’Arabie saoudite a formé une coalition islamique pour lutter contre le terrorisme. Elle comprend 34 pays dont l’Égypte, la Turquie, les Émirats arabes Unis, mais aussi des pays d’Afrique et d’Asie. L’Iran, la république islamique grand rival de Riyad, n’en fait pas partie.

L’Arabie Saoudite vient de se doter d’une coalition Islamique anti-terroriste. Un fait aussi insolite que bizarre. Si une certaine politique occidentale cherche désespéramment des outils juste pour pavoiser une complicité à peine voilée pour détourner l’attention de leurs opinion publique d’une part, et protéger des intérêts parfois obscures d’autre part, que vient faire notre pays le Tchad dans cette galère? Le Tchad départ sa constitution, il n’est pas un pays Islamique même si sa population est en majorité musulmane, moins encore un pays arabe même si pour des raisons politiques et historiques sa constitution consacre la langue arabe comme une deuxième langue officielle du pays.

Le système inique, dictatorial et corrompu qui fait de sa milice un instrument de commerce et d’échange contre nature, vient de franchir un pas de plus en direction d’une aventure qui endeuillera encore des familles Tchadienne.
Le Tchad, un pays de l’Afrique centrale ne peut s’épanouir que dans son milieu naturel, la cohérence de sa politique extérieure et la complémentarité régionale doivent prévaloir à toute autres option extérieure. Qui ignore le rôle joué par les mollahs saoudiens dans les désordres politico-religieux qui envahi la planète. Fanatisme, extrémisme, fondamentalisme et leur monstre de bébé le terrorisme, tous sans exception sont nés de la matrice du salafisme couvert du drap wahhabite.

Pour ceux qui veulent tromper leur conscience pour des raisons inavouées, ils apprendront à leur dépend et au prix de sang et de larme de leur peuple, de suite de la mascarade qui vient d’être pompeusement et triomphalement annoncée par les autorités saoudiennes.

Hier encore, les saoudiens tentaient de faire avaler à la communauté internationale que les formations comme Al-Nousra, An-saraldine, An-sarel-Islam, Djesal-Islam, Ahrar-Asham et autres crapules, qu’elles sont des formations » modérées ». Et comment peuvent-elles en être autrement pour les saoudiens quand elles ne sont que les instruments de leur propre doctrine?

Les pays Africains doivent faire attention. Le terrorisme avant qu’il ne soit armé, il est d’abord et surtout doctrinal. Or la doctrine salafiste et son corolaire le wahhabisme sont le fondement du pouvoir saoudien. Le jour où on aura obtenu que Al-Saoud seraient prêts a sillé la branche sur laquelle ils sont assis, ce jour là toute la communauté internationale poussera un ouf de soulagement.

En attendant, l’intervention surprise de la Russie en Syrie a crée une nouvelle donne qui, au delà de menace que cela fait peser sur la sécurité au nord de la méditerranée, fruit de leur propres turpitude, les pays du sahel sont plus que jamais interpelés à faire preuve d’unité, de solidarité, de perspicacité et de vigilance accrue.
Les entreprises qui gèrent les terroristes sont entrains de les transporter à Syrte en Libye en attendant de leur trouver un nouvel « Job » quelque part. Il n’est pas impossible que, vue la détermination des européens à juguler le phénomène loin de leur frontière sud, ces instruments de mort et de désolation trouvent un repère dans le sud du Darfour soudanais frontalier de la toute nouvelle République du Nord de la RCA, ou dans les montagnes de Tibesti Tchado-Libyen.

Si le dix pour cent de cette hypothèse cauchemardesque se met en relief alors les conséquences seront odieuses, dévastatrices et incalculables.
Une guerre ne se gagne jamais par les moyens des autres. Nous devons nous occuper de nos monstres de B.H, de An-sareldine et autres Daesh qui égorgent et tuent nos concitoyens dans l’indifférence de la communauté internationale qui nous distrait avec des déclarations de condamnations.

Personne ne viendra à notre secours. Tout au plus une opération Barkhane ou de drones qui ne sont pas plus efficaces que la coalition de 63 pays contre Daesh en Syrie et en Irak. Et puisque nous nous situons dans l’angle mort des intérêts immédiats de décideurs de ce grand monde, personne ne mettra la main dans sa poche pour nous secourir contre nos tueurs. De plus, nous ne cessons de confondre et de gérer le denier public comme un bien personnel. Il est normale que les autres nous regardent de très haut .Nous risquons de payer très chère le prix du mercenariat tout azimut pour lequel nous sommes si friands. L’effet boomerang nous attend sans aucune surprise.

Mahamat Djarma Khatre Aboulanwar


Salay Deby, un cauchemar bien réel

Salay est le frère cadet d’Idriss Deby. Il est connu pour son goût immodéré de l’alcool et aussi et surtout de la violence. De ses bavures à N’Djamena, il dispose d’une cellule dans une de ses résidences à la périphérie de la ville pour incarcérer et torturer ses détracteurs. Il est juge, bourreau et procureur. Mais qui est-il ce personnage mégalomane qui fait le beau et le mauvais temps?

Né en plein brousse de Tibesti dans les années 70, il grandit dans la maison de sa mère dans un quartier poussiéreux prêt de l’aéroport de N’djamena dans les années 80. Entre la maison de la vieille, celle d’IDI et celles de ses grandes sœurs, le benjamin tout droit venu du village est repoussé par les habitants du quartier et certains proches pour son manque d’éducation et son comportement de berger. Pendant que son grand frère massacrait la population du sud sous les ordres du dictateur Hissein Habre (septembre noir), Salay acquiert la réputation d’un enfant dangereux, violent et imprévisible. Un caractère propre à la famille Deby. Après la fuite de son frère suite à un désaccord avec Habre, l’enfant terrible est évacué discrètement au village. Le berger dangereux devient alors un enfant soldat et entre à N’djamena triomphalement avec le MPS, en tant que combattant de la liberté ! Du moins ce qu’il aime raconter.

Après la traversée du désert et comme le veut la coutume, l’enfant solitaire gagne le respect de la famille et la considération de son grand frère qui devient président de la république du Tchad.

Salay n’a jamais été à l’école. C’est un brillant analphabète notoire, autant en français qu’en arabe. Mais sa dangerosité est son lien avec le président. Ce dernier le nomme garde-corps rapproché à la présidence. Il sera alors chargé d’exécuter des basses besognes nocturnes. Après l’exploitation du pétrole en 2003, Salay, comme tous les membres du clan, amorcent  la grande migration vers le secteur pétrolier jugé juteux. Ainsi il sera parachuté coordinateur adjoint à la fiscalité pétrolière.

Au début de la rébellion des Zakhawa notamment celle des frères Erdimi, son grand frère, le muta  coordinateur adjoint de l’ANS, la police politique puis Régent dans la région du Batha. Les habitants de cette région très rattachés aux valeurs et cultures de l’Islam, Salay n’a du respect qu’à la délinquance, la dépravation  et la perversité. Aucune jeune fille ne passe devant lui sans se faire harceler et surtout si elle a la peau claire. Peu importe si elle est mariée ou célibataire, mineur ou adulte, il doit subvenir à son instinct animal par tous les moyens. Il est accusé de plusieurs cas de viols, ce qui a même conduit beaucoup de jeunes de la région à rejoindre la rébellion à l’époque pour tenter de rétablir leur honneur ou de se venger. Il fut aussi directeur de la réserve stratégique, poste qui lui permettra de trafiquer des armes avec des groupes d’insurgés actuel Boko Haram.

En 2008, Salay demanda son grand frère d’occuper la direction générale des douanes du Tchad. Un passage dramatique qui marqua l’histoire de cette direction à jamais. Le 24 octobre 2015 limogé et arrêté pour mauvaise gestion. Selon Jeune Afrique, près de 136 milliards de F CFA (207 millions d’euros) en liquide ont été retrouvés (16 dans ses bureaux, 120 dans ses différentes résidences). Mis aux arrêts au siège de la police judiciaire, à N’Djamena, il a été libéré un mois plus tard avant de prendre quelques jours de repos dans une de ses villa au Caire en Égypte.

Face à une telle impunité et malgré la crise économique et sociale que subissent les Tchadiens et l’insécurité qui fait rage, les organisations de la société civile et les forces vives de la nation doivent exiger et œuvrer  pour traduire en justice Salay Deby. L’esclavage est aboli, à quand la servitude volontaire?

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Activiste politique, mondoblogueur


Boko Haram : l’allié devenu encombrant du président Déby

Document disponible en version arabe et anglais sur: Al-tarabout.wordpress.com

Ce jour vendredi 11 décembre, Deby décide de rappeler à N’Djamena tous les militaires tchadiens envoyer au Nigeria pour combattre la secte islamiste Boko-Haram. Un mois plutôt le 07 novembre, il rappela dare-dare les Forces armées tchadiennes d’intervention au Cameroun (Fatic – plusieurs milliers d’hommes). Mais derrière cette posture de chasseur des terroristes, Idriss Deby a contribué activement à la montée fulgurante de Boko Haram.

Boko Haram-Tchad : rupture d’une alliance sulfureuse

L’année 2015 a commencé de manière bien sinistre sur les bords du lac Tchad, où Boko Haram1 a massacré plusieurs centaines de civils dans la petite ville de Baga, au Nigeria, et incendié une quinzaine de villages à ses alentours. La barbarie de ces actes – sans doute le pire crime de masse commis par la milice dirigée par Abubakar Shekau – s’explique peut-être par le fait que Baga abritait le quartier général de la Force multinationale mixte (MNJTF, selon son sigle anglais) censée combattre le banditisme et le terrorisme dans la région, et créée par les Etats membres de la Commission du bassin du lac Tchad. Ses soldats nigériens et tchadiens avaient déserté Baga quelques semaines plus tôt et les derniers militaires nigérians restés sur place n’ont guère résisté à l’assaut de Boko Haram.

La tuerie de Baga peut être considérée comme un tournant dans la guerre qui se déroule dans la région du lac Tchad. Certes, il fallut que l’émotion due à l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris retombe pour que les médias européens prennent conscience de l’ampleur du massacre. Mais, surtout, elle a marqué un changement radical d’attitude d’un des Etats de la région dont l’activité apparaissait jusque-là pour le moins ambiguë.

Le 29 janvier, une douzaine de jours après son entrée au nord du Cameroun, l’armée tchadienne affrontait pour la première fois la milice djihadiste2. Puis, le 3 février, sans l’accord des autorités d’Abuja, elle délogeait Boko Haram de la petite ville de Gambaru, du côté nigérian de la frontière avec le Cameroun3. Entre-temps, alors que l’armée tchadienne se déployait également dans le sud-est du Niger, le siège de la MNJTF était transféré, le 20 janvier, de Baga à N’Djamena. En outre, il était décidé que cette force, jusque-là minée par les dissensions entre les Etats qui l’avaient fondée, devait être revitalisée et dotée d’un mandat de l’Union africaine, qui fut obtenu quelques semaines plus tard4.

Alors que la déliquescence de l’armée nigériane avait permis une inquiétante montée en puissance de la milice de Shekau, notamment sur les rives du lac Tchad, dont quatre pays se partagent les eaux, le président tchadien Idriss Déby s’affirmait, à nouveau, comme l’irremplaçable rempart antiterroriste africain, deux ans après avoir été le premier soutien de la France pour expulser les groupes djihadistes du nord du Mali.

À y regarder de plus près, la réalité pourrait cependant être plus complexe. Durant les mois précédant le revirement du Tchad, des questions contradictoires, souvent troublantes, se posaient sur le rôle de ce pays dans la lutte contre Boko Haram.

Tout d’abord, il faut constater qu’en dépit de sa proximité géographique avec les zones sous contrôle de Boko Haram au Nigeria, aucune attaque n’avait, jusqu’au 13 février 20155, frappé le territoire tchadien6. Pourtant, de l’autre côté de la frontière, à quelques dizaines de kilomètres de N’Djamena, la capitale tchadienne, les raids et attentats de Boko Haram étaient devenus pratiquement quotidiens, et ce depuis près de trois ans au Cameroun, et encore davantage au nord-est du Nigeria.

Par ailleurs, les nombreuses armes saisies dans le nord du Cameroun tout au long de 2014 et destinées, selon toute vraisemblance, à alimenter Boko Haram provenaient presque systématiquement du Tchad. Par exemple, le 26 mars 2014, près de Fotokol, sur indication de villageois, une cache souterraine était mise à jour. On y trouva, notamment, 239 kalachnikovs, une tonne de grenades, un canon, un mortier, 9 mitrailleuses, 6 fusils FAL et 11 lance-roquettes7. De même, le 23 septembre, à Kousseri, ville camerounaise faisant face à N’Djamena, ce furent, entre autres, 5 mitraillettes, 24 roquettes, 4 lance-roquettes et 6 kalachnikovs qui ont été découvertes dans la villa d’un responsable local du groupe armé8. Le 12 novembre, à Kousseri, la police a intercepté, dans une cache aménagée dans un véhicule qui venait de passer la frontière tchadienne, 15 mitrailleuses, 6 AK-47, un lance-roquettes de type RPG et près d’un millier de cartouches9.

Un pays saturé d’armes

D’autres armes, saisies au Nigeria notamment par la MNJTF en 2012, semblaient venir également du Tchad, à travers le lac éponyme10. Le Tchad est visiblement devenu le lieu où confluent les routes du trafic d’armes, venant principalement de Libye, décrite comme un « arsenal à ciel ouvert » depuis le l’intervention de l’OTAN en 2011. D’autres pays en proie à des conflits y contribuent également, comme le Soudan ou la Centrafrique. Par ailleurs, le gouvernement de N’Djamena est confronté à une forte prolifération d’armes de guerre, héritée de deux épisodes de guerre civile (1965-1979 et 2005-2010), de diverses interventions militaires dans des pays de la région et du retour de nombreux Tchadiens, parfois armés, dans leur pays après le renversement de Mouammar Kadhafi11. Pour tenter de maîtriser la détention illicite d’armes à feu, les autorités procèdent à des fouilles et des perquisitions parmi les civils et les démobilisés12. Ce contexte pourrait inciter certains habitants à se débarrasser des armes en leur possession en les vendant à des trafiquants qui, à leur tour, les injecteraient dans les circuits alimentant Boko Haram13.

Une autre source qui a alimenté Boko Haram en armes aurait pu être l’armée tchadienne elle-même. C’est du moins ce qu’a affirmé un officier supérieur de la gendarmerie camerounaise, selon lequel le groupe armé entretenait des liens étroits avec des militaires tchadiens14. Des accusations croisées éclaboussent les armées nigériane et camerounaise. Il est bien entendu difficile d’évaluer l’ampleur et l’impact de telles complicités, bien que les allégations concernant les connexions entre l’armée d’Abuja et les djihadistes soient bien plus nombreuses et circonstanciées15 que celles visant les armées de ses deux voisins.

Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger sur le faible nombre d’arrestations de trafiquants et de saisies d’armes destinées à Boko Haram opérées en territoire tchadien, en flagrant contraste avec la situation au nord du Cameroun. Nos recherches n’ont révélé que deux cas, peu détaillés, d’arrestation de trafiquants soupçonnés d’alimenter le groupe armé. D’abord, celui de cinq Camerounais qui, à une date indéterminée en 2013, avaient tenté d’introduire dans leur pays des armes cachées dans des sacs d’arachides et avaient été arrêtés au Tchad16. Ensuite, celui, bien plus récent, concernant la saisie de 30 armes de guerre début janvier 2015, à Dougya, une localité sur le fleuve Chari, faisant face au Cameroun17.

Si un de ces deux cas mis à jour au Tchad concernait des citoyens camerounais, plusieurs saisies d’armes opérées au Cameroun impliquaient des Tchadiens. Des ressortissants de ce pays sont également actifs dans des trafics bien plus loin éloignés. Ainsi, à au moins cinq reprises en l’espace de quelques semaines, des contrebandiers tchadiens ont été arrêtés dans le sud de l’Algérie18. Même s’il n’est pas établi que toutes ces affaires concernent du trafic d’armes et malgré le fait que des citoyens d’autres pays, dont le Niger et le Soudan, étaient souvent impliqués, cela suggère une forte culture de la contrebande transsaharienne de certains ressortissants tchadiens.

La participation de nombreux citoyens de pays sahéliens à des activités de contrebande a sans doute été rendue plus aigüe par l’expulsion de plusieurs centaines de milliers de travailleurs de ces pays par les nouveaux maitres de la Libye, dont plus de 150 000 Tchadiens retournés dans leur pays d’origine19, et de l’exode de milliers d’anciens combattants à la solde de l’ancien régime. À ce propos, il faut reconnaître au président Déby d’avoir été un des premiers chefs d’Etat à attirer l’attention de la communauté internationale sur les conséquences catastrophiques pour la bande sahélienne du chaos provoqué en Libye.

D’autre part, il faut noter que les dépenses militaires tchadiennes sont en forte progression, ayant été pratiquement multipliées par huit entre 2004 et 200820, tandis que les importations d’armes répertoriées, principalement de France et d’Ukraine, suivaient une courbe comparable. En plus, de nombreux armements n’auraient été déclarés, ni par le Tchad, qui n’a jamais participé au Registre de l’ONU sur les transferts d’armes21, ni par les pays vendeurs22. Ces achats massifs, couplés à une absence de transparence, font naître la suspicion que certains matériels auraient pu être détournés vers des acteurs non-étatiques.

Un faisceau d’allégations

Par ailleurs, un grand nombre de Tchadiens combattraient au sein de Boko Haram. Ainsi, lors d’une attaque sur Biu (Etat du Borno, Nigeria) le 14 janvier 2015, quinze membres tchadiens du groupe armé auraient été tués23. Dans les régions sous son contrôle du nord-est du Nigeria, les tribunaux mis en place par Boko Haram seraient systématiquement présidés par des Tchadiens24. Ce seraient également des Tchadiens qui auraient l’expertise nécessaire pour manier des armes lourdes sophistiquées, comme des blindés et de l’artillerie25.

En outre, des médias nigérians, citant un mémo de services de renseignement nigérians datant de 2011, font état de l’existence d’un camp d’entraînement de Boko Haram en territoire tchadien, plus précisément près de la ville d’Abéché26, à 750 km à l’est de N’Djamena. Ce camp, très éloigné des zones d’opération du groupe djihadiste, n’aurait pu exister qu’avec l’assentiment du gouvernement tchadien. Cependant, s’il a existé, ce camp n’est certainement pas le seul dans la région. Le 21 décembre 2014, l’armée camerounaise en a démantelé un dans le département de Mayo-Danaï, dans la région de l’Extrême-Nord, récupérant plus de 80 enfants qui y étaient formés et arrêtant 45 instructeurs27. D’autres camps de Boko Haram, où les adeptes étaient formés au maniement des armes, existaient au Nigeria, notamment dans la forêt de Sambisa28, et ont même été découverts à Tombouctou, au Mali, en janvier 201329, et près de Diffa, dans le sud-est du Niger, en février 201430 mais, à l’inverse du cas d’Abéché, jamais la collusion des autorités centrales n’a été suspectée.

Relevons aussi que du carburant tchadien de contrebande semble approvisionner Boko Haram, ainsi que certaines régions du Cameroun et des zones sous le contrôle des rebelles de la Seleka en Centrafrique31. Selon des médias tchadiens, ce pétrole serait directement issu des réserves appartenant à la famille présidentielle32.

Tous ces éléments ont fait dire à certains médias, notamment nigérians et camerounais, ainsi qu’à des organisations de la société civile nigériane, comme Every Nigerian Do Something (ENDS)33 et #BringBackOurGirls (BBOG)34, que les autorités de N’Djamena ont été complices de Boko Haram. Les accusations de BBOG ont été principalement alimentées par le pseudo-accord conclu le 17 octobre 2014 entre les autorités nigérianes et Boko Haram, sous la médiation personnelle du président Déby, et qui aurait dû entrainer un cessez-le-feu et la libération de plus de 200 jeunes filles enlevées à Chibok (Etat du Borno) six mois plus tôt35. L’accord n’a pas été mis en œuvre et Shekau a déclaré, dans une vidéo diffusée le 1er novembre, qu’il n’avait jamais été conclu36. À Abuja, les responsables gouvernementaux semblaient se diviser sur la responsabilité de Déby dans ce fiasco, les uns pensant qu’il avait été involontairement trompé par le groupe djihadiste, désireux de se réorganiser et de se redéployer, les autres soupçonnant le président tchadien – devenu brusquement indisponible après l’annonce de l’accord – d’avoir voulu délibérément piéger les autorités nigérianes37.

Les relations suspectes du président Déby

Un autre élément particulièrement troublant est l’amitié qui lierait le président Déby à Ali Modu Sheriff, ancien gouverneur de l’état du Borno et dont l’élection doit vraisemblablement beaucoup au soutien offert par Boko Haram en 2003. En échange, le beau-père de Mohammed Yusuf, fondateur du mouvement, assassiné en 2009, avait été nommé commissaire des Affaires religieuses de son gouvernement38. Goodluck Jonathan, alors président du Nigeria, a publiquement déclaré, en avril 2013, que Sheriff avait été un « ami » de Yusuf39.

Or, Sheriff, qui est un visiteur régulier du Tchad, en particulier de la capitale et d’Abéché, bénéficierait de la protection du président tchadien dont il aurait financé la campagne électorale de 2011, notamment en lui fournissant 35 véhicules pour sa sécurité40. En contrepartie, une société appartenant à Sheriff s’est vue attribuer deux blocs pétroliers dans le sud du pays41. Certaines sources, dont Stephen Davis, négociateur australien ayant tenté de faire libérer les filles de Chibok, ont accusé Modu Sheriff de continuer à financer Boko Haram42, voire d’organiser des transferts d’armes à son bénéfice ou de superviser le présumé camp d’Abéché43.

Cependant, en juillet 2014, Sheriff – jusque-là membre d’un parti d’opposition – a rejoint le People’s Democratic Party, au pouvoir44, et est devenu un allié de poids du président Jonathan, tandis que, le 16 décembre 2014, les services de renseignement nigérians – le State Security Service (SSS) – exonéraient Sheriff de toute complicité avec Boko Haram45. Par conséquent, malgré les intérêts électoraux qui sous-tendaient ces revirements, on pourrait difficilement reprocher au chef d’Etat tchadien d’entretenir d’étroites relations avec un homme blanchi par les autorités nigérianes des soupçons de soutien à un groupe armé nigérian…

Une autre relation trouble du Président Déby est celle entretenue avec son ancien opposant, devenu proche conseiller, Mahamat Bichara Gnorti, arrêté par les autorités soudanaises à Al-Jeneina, capitale provinciale du Darfour-ouest, le 17 novembre 2014, après que la fouille de son camion ait révélé qu’il transportait, en direction du Tchad, 19 missiles portables antiaériens SAM7 (SA-7 « Grail » selon la terminologie OTAN, 9K32 Strela-2 selon la terminologie soviétique/russe) provenant des arsenaux de l’armée soudanaise et qu’il aurait obtenus en corrompant une demi-douzaine d’officiers. Muni d’un laisser-passer des autorités tchadiennes, il aurait déclaré pendant son interrogatoire que l’armement était destiné à Boko Haram et qu’il agissait pour le compte du président Déby en personne46.

Cette arrestation a soulevé beaucoup de vagues dans la presse des pays concernés, y compris au Soudan, dont les médias sont pourtant sous étroit contrôle étatique47. Plusieurs émissaires tchadiens auraient été dépêchés à Khartoum avec pour mission de faire libérer Gnorti et auraient même brandi la menace d’une rupture des relations diplomatiques, mais ils se seraient heurtés à une fin de non-recevoir des autorités soudanaises48. C’est très probablement pour obtenir des explications que le président Jonathan, accompagné notamment du chef de sa National Intelligence Agency, a effectué une visite inopinée à son homologue tchadien le 24 novembre à N’Djamena49, mais le président Déby aurait nié tout soutien à Boko Haram50. Entre-temps, le gouvernement nigérian aurait lancé une enquête pour vérifier la véracité de ces allégations51.

Cette affaire, plus que toute autre concernant la relation entre le Tchad et Boko Haram, pose des questions particulièrement troublantes sur la nature des relations du président Déby avec Boko Haram. Mais, paradoxalement, elle semble laver de tout soupçon les autorités soudanaises, parfois accusées de soutenir le groupe armé52, bien qu’il y ait lieu de s’inquiéter de la corruption régnant au sein de leurs forces armées.

Notons également que des hommes politiques, comme le neveu d’Idriss Déby, ancien ministre devenu récemment président de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale, Abbas Mahamat Tolli, et le ministre des Transports et de l’Aviation Civile, Abdelkerim Souleymane Teriao53, un ancien rebelle, appartiendraient, selon l’opposition tchadienne, à des milieux intégristes musulmans soutenant Boko Haram54.

Le chaînon manquant saoudien ?

Quant aux motivations qui auraient pu animer le pouvoir de N’Djamena, on en est bien entendu réduit aux hypothèses. Cependant, l’influence exercée par l’Arabie saoudite sur certains milieux politiques et religieux tchadiens pourrait fournir une explication, au moins partielle, à ces connivences. D’une part, grâce à des imams formés en masse dans ce pays, le wahhabisme et du salafisme ont effectué une percée spectaculaire au Tchad, au point que quelque 20 % de la communauté musulmane auraient abandonné le soufisme traditionnellement dominant dans la région pour des pratiques importées du Moyen-Orient55. D’autre part, le royaume saoudien a été fréquemment soupçonné d’entretenir des relations avec Boko Haram. Les négociations, mentionnées plus haut et conduites sous la médiation du président Déby, dans l’espoir d’une libération des jeunes filles de Chibok, se sont en effet tenues en Arabie saoudite56. Trois ans plus tôt, un porte-parole de Boko Haram avait déclaré que Shekau s’était rendu dans ce pays et y avait obtenu un « soutien technique et financier » d’Al-Qaida57. Il a également été question de liens avec des fondations et des organisations basées dans le royaume58, tandis que, selon le journal satirique français Le Canard Enchaîné, Boko Haram serait financé par des « monarchies pétrolières du Moyen-Orient »59. Un pivot de cette connexion saoudo-tchadienne serait l’homme d’affaires Abakar Tahir Moussa, qui a passé une grande partie de sa vie dans la pétromonarchie60.

En tout cas, ce ne serait pas la première fois que des gouvernements africains sont accusés de soutenir des groupes armés actifs dans des pays voisins. Ainsi, les autorités tchadiennes sont largement soupçonnées d’avoir plongé la Centrafrique dans le chaos en promouvant les insurgés de la Seleka61. Néanmoins, on peut se demander quel serait l’intérêt des autorités de N’Djamena à déstabiliser ses voisins, en particulier le Cameroun. En effet, le Tchad, pays enclavé, est fortement dépendant de Yaoundé pour ses importations de nombreuses denrées, ainsi que pour ses exportations de pétrole : plus des trois-quarts des 1050 km de l’oléoduc permettant l’exportation de l’or noir tchadien se trouvent en territoire camerounais. Cependant, l’encouragement de l’activité de Boko Haram au Cameroun pourrait être une forme de rétorsion envers Yaoundé, dont la forte hausse des droits de passage du brut tchadien intervenue en décembre 2013 a été jugée exorbitante par N’Djamena62. Par contre, un affaiblissement du Nigeria, principal rival militaire du Tchad dans la région, pourrait relever l’importance géostratégique du Tchad, qui fait figure d’un des rares pôles de stabilité dans une Afrique centrale et sahélienne où se multiplient les groupes armés et autres mouvements insurrectionnels. Par ailleurs, la découverte de pétrole en 2012 dans l’Etat du Borno63 n’est peut-être pas sans lien avec la recrudescence des activités de Boko Haram dans cette même région. L’insécurité que fait régner le groupe armé rend en tout cas impossible l’exploitation de ces réserves64, ce qui conforte le monopole pétrolier du Tchad dans la bande sahélienne.

L’engagement des troupes tchadiennes contre Boko Haram semble apporter un démenti radical à la complicité présumée des autorités de N’Djamena avec le groupe djihadiste. Pourtant, il pourrait simplement révéler un changement tactique majeur du président Déby. Les raisons déterminantes de ce revirement restent à éclaircir. Mais les hypothèses sont nombreuses. La plus évidente est que le Tchad, et en particulier sa capitale, à portée de canon des zones où opèrent les hommes de Shekau, pourrait être à son tour menacé. Les attentats-suicide dont a été victime N’Djamena en juillet sont là pour illustrer sa vulnérabilité. Ce changement de cap pourrait également résulter d’un mouvement d’humeur du président Déby, s’estimant floué après le non-respect de l’accord conclu à propos des lycéennes de Chibok en octobre 2014. Il pourrait également être le résultat de pressions internationales accrues, en particulier de la France et des Etats-Unis, dont l’influence reste prépondérante dans le pays.

Déby gagne sur tous les tableaux

De toute façon, les bénéfices que tire N’Djamena de sa déclaration de guerre à Boko Haram sont d’ores et déjà substantiels. D’une part, elle lui permet de s’affranchir de soupçons de plus en plus embarrassants de soutien à une insurrection, surtout après celui accordé à la Seleka centrafricaine. D’autre part, elle permet au président Déby de s’affirmer comme un leader régional, voire continental. En outre, alors que le Tchad était critiqué pour une utilisation peu orientée vers le développement de ses ressources pétrolières, le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne seraient maintenant en train d’adopter une position beaucoup plus nuancée65. Enfin, comme le pense l’universitaire Marielle Debos66, cette intervention contre un allié devenu gênant constitue une « aubaine » pour le président tchadien, qui « se positionne comme le pivot régional de la lutte antiterroriste » et « lui permet de faire oublier les violences passées, les pratiques peu démocratiques et la contestation sociale ».

Mais on peut également se demander dans quelle mesure la « tolérance » dont a longtemps bénéficié Boko Haram de la part des autorités de N’Djamena a contribué à sa fulgurante montée en puissance jusqu’aux premiers jours de l’année 2015.

Georges Berghezan, 29 septembre 2015

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1 Boko Haram (littéralement « le livre est un péché ») est en fait le surnom d’un groupe armé qui, jusqu’en avril 2015, déclarait s’appeler « Groupe pour la tradition prophétique, la prédication et le jihad», avant de se rebaptiser « Province de l’Afrique de l’Ouest de l’Etat islamique ».
3 Christophe Châtelot, Pourquoi le Tchad s’engage dans la lutte contre Boko Haram, Le Monde, 6 février 2015.
5 Boko Haram attaque pour la première fois le Tchad, La Libre Belgique, citant AFP, 13 février 2015.
6 À l’exception d’une attaque visant des ressortissants nigérians dans un village frontalier en août 2014. Voir Boko Haram trails Nigerians to Chad, kills 6, Daily Trust (Abuja), 6 août 2014.
7 Reinnier Kaze, Le Cameroun, plaque tournante d’un trafic d’armes destinées à Boko Haram, Yahoo Actualités, citant AFP, 4 avril 2014 ; David Wenaï, 20 ans de prison pour des membres de Boko Haram, Camer.be (Bruxelles), citant L’œil du Sahel, 31 juillet 2014 .
8 Un dirigeant de Boko Haram arrêté, BBC Afrique, 26 septembre 2014 ; Raoul Guivanda, Kousseri : un chef local de Boko Haram arrêté, Camer.be, citant L’Oeil du Sahel, 26 septembre 2014 ; Cameroonian Military Capture Boko Haram’s Top Commander, Abakar Ali, Sahara Reporters, 26 septembre 2014.
10 Freedom C. Onuoha, Porous Borders and Boko Haram’s Arms Smuggling Operations in Nigeria, Al Jazeera Center for Studies, 8 septembre 2013 ; Deux islamistes nigérians tués à la frontière avec le Tchad, Slate Afrique, 1er août 2012.
12 Tchad : La circulation des armes qui fait peur dans le-Moyen-Chari et le Mandoul, Groupe de réflexion et d’action pour le Tchad, 31 juillet 2014 ; Adil Abou, Tchad: Importante quantité d’armes saisies à Abeché, Alwihda (N’Djamena), 15 décembre 2014.
13 Abdelwahid Ahmat, Cameroun : La police camerounaise découvre des armes dans un véhicule, Alwihda, 19 décembre 2014.
15 Chantal Uwimana (Transparency International), Corruption In Nigeria’s Military And Security Forces: A Weapon In Boko Haram’s Hands, Sahara Reporters, 19 juin 2014.
16 Edouard Kingue, Circulation des armes de guerre : trafic ou complot contre le Cameroun ?, Camer.be (Bruxelles), citant Le Messager (Douala), 8 octobre 2014 ; Reinnier Kaze, Le Cameroun, plaque tournante d’un trafic d’armes destinées à Boko Haram, op. cit.
17 Reouhoudou Innocent, Tchad : 30 armes de guerre saisies, Alwihda, 7 janvier 2015.
19 L’OIM au secours de migrants tchadiens en détresse expulsés de Libye, Organisation internationale pour les migrations, 12 février 2013.
20 Selon le Stockholm Institute for Peace Resarch (SIPRI), les dépenses militaires du Tchad ont même plus que décuplé durant cette même période, pour atteindre 274 milliards de francs CFA ou 7.1 % du PiB en 2008. Voir SIPRI Yearbook 2014, pp. 222 et 236.
21 Reporting to the United Nations Register of Conventional Arms, Statistics Update 2014, United Nations Office for Disarmament Affairs (UNODA).
24 Nicholas Ibekwe, Boko Haram: Nigeria downplays Chad’s move to capture Baga, Premium Times (Abuja), 19 janvier 2015.
25 Guibaï Gatama, Boko Haram : La stratégie suicidaire du Tchad, Camer.be, citant L’œil du Sahel, 10 novembre 2014.
29 Drew Hinshaw, Timbuktu Training Site Shows Terrorists’ Reach, The Wall Street Journal, 1er février 2013.
33 Nicholas Ibekwe, op. cit.
34 Nigeria: Chad Denies Funding Boko Haram, allAfrica, citant Vanguard, 4 décembre 2014 ;
35 Boko Haram: le Nigeria annonce un accord sur la libération des lycéennes et un cessez-le-feu, Le Huffington Post, citant AFP, 17 octobre 2014 ; Sodiq Yusuff, EXCLUSIVE: How Idriss Déby brokered ceasefire, TheCable (Lagos), 18 octobre 2014.
36 Boko Haram says kidnapped schoolgirls ‘married off’, France 24, citant AFP, 1er novembre 2014.
38 Femi Falana, How Modu Sheriff Sponsored Boko Haram, Sahara Reporters (New York), 4 septembre 2014.
41 Madjiasra Nako, Les chinoiseries pétrolières de N’Djamena, Jeune Afrique, 29 avril 2014.
46 D. D., La collusion de Deby avec Boko Haram vient d’être définitivement établie au Soudan !, N’Djamena Matin, 20 novembre 2014 ; D. D., Collusion between Boko Haram and Idriss Deby, US Africa News, 23 novembre 2014.
47 L’édition du quotidien Al Intibaha du 27 novembre 2014 a fait allusion à cette affaire.
48 D. D., Affaire des missiles Sam7 destinés à Boko Haram : N’Djamena panique et menace Khartoum, N’Djamena Matin, 20 novembre 2014 ; Djarma Acheikh Ahmat Attidjani, Idriss Deby derrière Boko Harram !, Jeunes Tchad, 24 novembre 2014.
49 George Agba, Jonathan Meets Chadian President Over Reported Links With Boko Haram, Leadership (Abuja), 24 novembre 2014 ; Jonathan meets Chadian president again over Boko Haram, Premium Times, 25 novembre 2014.
51 Chad president’s friend buys 19 missiles for Boko Haram, Nigerian Tribune (Ibadan), 23 novembre 2014.
52 Martin Plaut, The Sudanese link: from Seleka in Central Africa Republic to Boko Haram in Nigeria, Africa, News and Analysis (Grande-Bretagne), 24 mai 2014.
53 Selon les sources, son nom s’écrit Teriao ou Terio.
55 Christophe Châtelot, N’Djamena redoute l’implantation de Boko Haram au Tchad, Le Monde, 4 février 2015.
57 Monica Mark, Boko Haram vows to fight until Nigeria establishes sharia law, The Guardian, 27 janvier 2012.
59 Le Canard Enchaîné, 14 mai 2014.
60 Les pétro-dollars à l’assaut de l’Afrique, Mondafrique (Paris), 26 mai 2014.
61 Yannick Weyns, Lotte Hoex, Filip Hilgert et Steven Spittaels, Mapping Conflict Motives: The Central African Republic, International Peace Information Service (IPIS, Anvers), novembre 2014, pp. 62-68.
63 Nigeria Discovers Oil In Lake Chad Basin, Information Nigeria, 10 septembre 2012.
64 Obafemi Oredein, Terrorists Dampen Oil Hopes In Nigeria’s Lake Chad Basin, E&P (Houston, USA), 17 mars 2014.
65 Roland Marchal, Chad’s Déby takes on Boko Haram, The Africa Report, 4 mai 2015?
66 Citée par Cyril Bensimon et Christophe Châtelot, in Le Tchad mobilise ses troupes contre Boko Haram, Le Monde, 22 janvier 2015. Voir également Jean-Baptiste Placca, Tchad: Idriss Déby Itno, entre démocratie et menace terroriste, RFI, 7 février 2015.


Une énième tentative d’extradition se solde par un échec

Aussi vrai que l’on ne peut descendre plus bas que le fond, aussi vrai qu’un homme couché par terre ne peut tomber. Mais, seul un Déby président est capable de chuter aussi bas. Décidément le régime de Déby n’en finira pas avec les activistes et blogueurs qui dénoncent ses bavures et son système macabre.

N’est-il pas étonnant que celui qui se vantait d’avoir «écrasé » des rebelles lourdement armés redoute les publications des jeunes blogueurs et des activistes pacifistes. Des personnes à des milliers de kilomètres et qui n’ont d’arme que leur clavier et leur plume ? N’est-il pas ironique que celui qui dirige le Tchad d’une main de fer depuis 25 ans et qui le vide de toutes ses ressources se sente menacé par des articles publiés sur des plateformes virtuelles ? Que veut-il ? A-t-il encore quelque chose à cacher de sa gestion mafieuse et de sa cruauté ?

Le 10 octobre 2015, le président tchadien Idriss Déby a fait une visite officielle au Soudan à Khartoum. Sans honte, il a occupé la place d’invité d’honneur à la cérémonie d’ouverture du dialogue national. Un dialogue voulu inclusif entre le parti au pouvoir National Congress Party (NCP) d’Oumar El-Bechir, une partie de l’opposition, la société civile et une fraction dissidente des rebelles du Front révolutionnaire soudanais. Mais la rencontre a échoué avant d’avoir même commencé. Comme si on devait attendre à autre chose !

Quarante-huit heures avant l’arrivée de Déby, le tristement célèbre service de renseignement soudanais recevait une requête des autorités tchadiennes demandant l’extradition vers le Tchad du mondoblogueur Djarma Acheikh Ahmat Attidjani, c’est-à-dire ma pauvre personne, et cela en vertu  de l’accord de normalisation des relations entre le Tchad et le Soudan en 2009 empêchant toute activité politique hostile à Ndjamena.

Le 9 octobre, soit 24 h avant l’arrivée de Déby à Khartoum, j’ai été interpellé par le service de renseignement soudanais sans mandat d’arrêt évidemment, mis en garde à vue en résidence surveillée. Une enquête a été ouverte. Mon ordinateur et mon smartphone ont été confisqués. Le drame a été évité de justesse – sans le soutien et la mobilisation de certaines personnalités dont je salue le courage.

Mais il ne faut pas faire d’illusion. Si le régime soudanais se méfie d’Idriss Déby perçu comme instable et mégalomane, les deux se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Ils ont en commun plusieurs tendances machiavéliques. Mon interpellation m’a permis d’approfondir mes recherches sur un pays déchiré par une crise identitaire, une société tyrannisée par un choc de religion et sombrant profondément dans le mensonge, le déni, la perversité.

Que ceux qui s’agitent et se ridiculisent à vouloir casser les plumes des blogueurs ou à menacer les activistes s’habituent à la déception et surtout à en prendre plein la figure. Une politique que la perversité d’un système machiavélique a pu et s’est plu à inventer.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Mondoblogueur, activiste politique et analyste indépendant

NB: article pré-enregistré, le 24 octobre 2015


Les sites tchadiens de l’opposition : entre ragots et activisme de connivence

A la suite d’un article publié sur un site internet de l’opposition, les Tchadiens et le monde entier ont assisté à un spectacle écoeurant : les frasques démesurées de deux personnalités de l’opposition en exil. On a déjà une idée de ceux qui veulent remplaceIdriss Déby et combien ils capables de tomber bas.

Je ne vais rien rajouter à la misère intellectuelle et morale de cette altercation minable. Je ne peux m’aventurer à colporter des ragots de bistrot qui ne seraient pas du goût des lecteurs.

Cependant, c’est une occasion de plus de dénoncer la comédie qui se joue sur les blogs et sites web tchadiens de l’opposition. Comment peut-on vouloir une chose et son contraire ? De plus en plus l’attitude et le manque de code de déontologie chez les administrateurs de ces sites et blogs consacrés à la chose politique tchadienne se font tristement remarquer. Les causes pour lesquelles on se bat ou prétend se battre et les personnes qui nous lisent ne méritent-elles pas un minimum de respect et de considération ?

Le constat est que les blogs et les sites web qui polluent la sphère politique, pour ou contre le régime de Déby, dépendent presque tous d’hommes politiques véreux. Des hommes guidés par des volontés non avouées, consciemment malhonnêtes. En bref, un activisme de connivence au vu et au su de tous.

Je vous invite à faire un petit tour dans ces plateformes. Vous serez consternés par ces publications irréfléchies et la façon dont l’information est traitée. Certains sont carrément devenus des espaces de cons à la recherche d’une tribune.

Lire=> Un article provoque la foudre des  »blogueurs » tchadiens


L’ours se déguise en agneau pour assoir puis imposer sa volonté

  • On se fait l’opposant politiquement farouche de Déby en exil et de l’autre côté on tient à la poursuite de l’injustice sociale pour de raison de liens de sang.
  • On se fait opposant contre la dictature de Déby le jour et la nuit fervent défenseur d’un ancien dictateur avéré, motif qu’il s’agit d’un complot universel.
  • On milite pour la chute de Déby en le faisant confiance et jeter des fleurs au traître de la cause juste par ce qu’il est un copain.
  • On se précipite pour dénoncer et dévoiler les irrégularités de certains caciques du régime et à taire soigneusement celles d’autres.

Si Idriss Déby se transforme en un trophée, on ne sera pas surpris de voir les uns se battre contre les autres. C’est ici que les attend la pelure de banane de l’intégrité morale.

Les valeurs, c’est d’abord une culture, une éducation. Depuis fort bien longtemps, je ne visite plus ces sites de l’opposition tchadienne, mais bien des personnes sont naïvement victimes de ces imposteurs manipulateurs.

Au pays de la chasse gardée et de la pierre lancée, ne nous laissons pas duper.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Activiste politique, Mondoblogueur


Économie| Le déluge de la croissance

Avec une couverture montrant un crâne vert au fond noir auquel est écrit au dessus: L’ENFER C’EST LUI: Génocide économique. Le genre de roman d’horreur qu’on a souvent envie de dévorer lors d’un chagrin d’amour. Ça rappel étrangement l’affiche de ce film d’horreur, SAW, ou le tueur en série impose à ses victimes un choix entre la vie et la mort dans des pièges sadiques.

Lorsque j’ai vu la couverture et lu la présentation du livre, j’ai déduis au début qu’il s’agit probablement d’un adepte aux théories du complot ou un conspirationiste, qui croient dure comme fer que les illuminatis dirigent le monde.

J’en ai trop souffert voire endoctriné durant mes premiers années d’études ou je passais des heurs à lire des articles et voir des reportages sur cette force maléfique au pouvoir surnaturel qui a pour but de créer un nouvel ordre mondial dont tous les être humains de la planète seront ses esclaves. Je voyais des symboles illuminatis partout, même dans mon assiette. J’étais profondément perdu dans le labyrinthe de mon propre esprit.

L’insistance de l’auteur  qui m’envoya une version Kindle de son œuvre à susciter ma curiosité et m’a encouragé à la lecture de son livre qui est au delà de toutes mes attentes. Pendant que je lisais la présentation du livre et le «génocide économique» m’ont fait penser à tous les livres ennuyeux de l’histoire de la pensée économique que j’étais amené à lire et le temps fou que je passais à la bibliothèque de cette université islamique puante l’odeur des vieux livres.

Aujourd’hui avec une maitrise en science économique, j’ai été confronté dès ma première année aux controverses et de l’importance de l’économie dans nos sociétés. Je me rappel qu’un prof égyptien proche des frères musulmans lors de son cours en microéconomie, nous disait que  les bases auxquelles sont bâtis le modèle capitaliste et le modèle communiste sont tous faux. Pour lui et selon le système économique islamique, la seule authentique, la rareté des matières premières à la satisfaction des besoins de l’homme est une théorie qui n’a aucun fondement réel. Pour soutenir ses propos, le prof se base sur des séries de verset du Coran dont Dieu demande aux croyants de ne pas tuer  les« enfants pour cause de pauvreté. Nous vous nourrissons tout comme eux» et plein d’autres versets et parole de prophète. Cette interprétation peut aussi être l’un des causes des misères en Afrique.  J’ai été choqué par sa façon d’interpréter le Coran et de se baser sur des versets pour saper facilement plusieurs années des travaux scientifiques.

Contrairement aux sciences sociales conventionnelles, on enseigne dans tous les universités islamiques du monde que soit l’économie, le droit, la finance, et tout ce qui fini par «islamique» préviennent du Coran et de la Sunna.  J’ai alors demandé la question pourquoi les musulmans ne sont-ils pas aussi développés et «évolués»  comme l’Occident alors que ces derniers sont de tradition chrétienne? Une question qui m’a valu la risée des étudiants islamistes majoritaires à l’université. En effet, l’argument que ces disciplines sont tirés du Coran et de la Sunna a pour but principale d’empêcher toute réflexion opposante en coupant court le débat qu’il s’agit des «paroles de Dieu», et aussi une façon de faire adhéré la masse des musulmans naïfs attirés par tous ce qui est islamique, dans un jeu des mots sémantiques.
En vérité ce ne sont que des théories faites par des hommes qui n’ont souvent aucun lien avec la discipline, inspirés des sources de l’islam. Ces théories ne sont ni saintes, ni universelles.

Dans ce milieu, la laïcité est perçue comme une religion, un péché grave pour un musulman.  Mais mes idées, mes approches et mon comportement ont toujours fini par me trahir. Alors j’ai adopté la stratégie du silence. C’est ainsi dont j’ai compris que mon éducation laïque et les enseignements dont j’ai eu au collège et au lycée ont façonné mon esprit à ne voir que sous un angle précis, rejetant tout autre vision qui ne corresponde pas. Pour se libéré de ces chaines, j’ai appris à être patient dans mes réflexions, d’observer, de comprendre, de conceptualiser et d’analyser. Il faut être capable de penser et de repenser ses pensées. Le défi de l’économiste de ce 21e siècle.

Dans le livre « L’enfer c’est lui : Génocide économique », Jo M. Sekimonyo nous éclaire d’une façon simple et éloquente, sur les failles du capitalisme d’aujourd’hui et sur son barbarisme d’avant. Les effets de son exploit ne sont pas seulement ressentis localement, mais se déplacent vite et loin comme dans la théorie du chaos. Un effet papillon à la conséquence cataclysmique. Les faillites des grandes entreprises peu scrupuleuses ont des répercussions en chaine non pas seulement pour ses proprios mais aussi à des milliers des employés qui se retrouveront sans emploi. M.Sekimonyo a révélé les écueils du capitalisme et les querelles entre les principaux courants des pensés quant à la forme et à la politique économique le mieux propice à la croissance et au développement durable profitable à tous.

Si la moitié du livre ne parle que de l’injustice du système capitaliste,  le marxisme dont M.Sekimonyo désapprouve, le socialisme qu’il s’en moque et le communisme qu’il dénonce, ont tous échoué face à cette machine d’inégalité et ce système totalitaire marchand tant décrié.  Floyd Mayweather à battu Manny Pacquiao non pas seulement parce qu’il était fort mais surtout parce qu’il était mieux entrainé et bien préparé. En revanche, après la belle tournée du monde dans ce livre, on apprend en fin la théorie magique qui est censé sauver le monde de l’obscurantisme et d’une éternelle désolation du capitalisme: l’Éthosisme.

Un concept que seul M.Sekimonyo serait capable de nous expliquer en profondeur dans un langage claire et éloquent comme il l’a fait durant ces coups de pied régulier aux fesses du Capitalisme.

Notons que plusieurs économistes de renom ont osé repenser la pensée économique. L’un des premiers à avoir proclamé la révision de la discipline économique est un prix Nobel d’économie, Paul Krugman. Les critiques des errements de l’orthodoxie économique sont depuis lors nombreuses. L’économiste américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel 2011, juge aussi que « Si les États-Unis veulent réussir à réformer leur économie, il se peut qu’ils doivent commencer par réformer les sciences économiques. »

Stiglitz et P. Krugman, rappellent tous deux combien les leçons des années 1930 ont été oubliées par les macroéconomistes, ces spécialistes qui étudient les mouvements globaux de la production et de l’emploi. À cette époque, la grande dépression avait imposé une profonde révision des croyances des économistes. Avec un taux de chômage de 25 % en 1933 aux États-Unis, il était alors difficile de défendre l’idée que les marchés pouvaient spontanément résorber les déséquilibres entre l’offre et la demande de travail. La pensée de l’économiste britannique John Maynard Keynes avait fini par l’emporter, lui qui insistait sur la fragilité intrinsèque des économies de marché et la nécessité pour les gouvernements de dépenser massivement pour soutenir l’activité en cas de dépression. Toute une génération d’économistes, incarnée par le professeur Paul Samuelson, auteur du manuel d’économie le plus diffusé dans les années 1960-1970, s’était rangée à cette analyse.

Du coté des acteurs publics, obnubilés par la question de la dette et des déficits publics, les gouvernements ne veulent pas dépenser non plus. Or si tout le monde s’abstient d’investir, de consommer ou de subventionner en même temps, l’activité économique ne peut que ralentir et la situation de chacun se détériorer. Les entreprises ont moins de commandes, les salariés perdent leur emploi et les États ont moins de recettes fiscales. Cette thèse n’est pas nouvelle. Elle se résume largement au principe de John Maynard Keynes, hérault du déficit public : « C’est en phase d’expansion, pas de ralentissement, qu’il faut appliquer l’austérité. »

Quant aux inégalités, elles sont devenues un sujet brûlant dans l’édition américaine depuis  le mouvement des indignés américains, Occupy Wall Street, fruit d’un étonnant va-et-vient entre sciences économiques et mobilisation politique. J’approuve l’inquiétude de l’auteur du livre l’enfer c’est lui que l’augmentation du salaire minimum ne résoudra rien dans cette question brulante. Pourtant, les économistes mainstream minoraient la gravité du phénomène. Selon eux, si l’éventail des revenus s’était élargi depuis les années 1980, c’est que l’économie américaine était entrée dans un nouveau modèle productif qui valorisait plus l’éducation et les connaissances, créant un écart croissant entre les rémunérations des salariés qualifiés et celles des non-qualifiés. Dans The Conscience of a Liberal (Norton, 2007), Paul Krugman rejetait déjà cette thèse et affirmait une responsabilité politique, notamment celle de l’offensive fiscale et antisyndicale amorcée par Ronald Reagan. Cette interprétation domine également les essais récents de Timothy Noah (The Great Divergence, Bloomsbury, 2012) et de Joseph Stiglitz (The Price of Inequality, Norton, 2012) qui accusent une petite élite américaine d’avoir capté une large part des profits.
Là où T. Noah plonge le lecteur dans la fabrique de ces politiques (par le lobbying notamment), J. Stiglitz attribue de son côté cette concentration des revenus à des comportements « rentiers » grâce auxquels les magnats de l’énergie ou de la finance ont pu engranger des fortunes aux dépens de la majorité des Américains.

L’ouvrage de James K. Galbraith (Inequality and Instability, Oxford University Press, 2012) tranche avec ces interprétations politiques. Il montre notamment que l’accroissement des inégalités américaines est dû à la progression des revenus d’une toute petite partie du pays : une quinzaine de comtés (New York et la Silicom Valley, notamment) et d’activités économiques (la finance et l’informatique principalement). Mais surtout, cet élargissement de l’éventail des revenus est largement indépendant des politiques menées dans tel ou tel pays. C’est un phénomène global qui trouve une explication structurelle : le passage d’une économie manufacturière à une économie où la finance joue un rôle croissant, par les rémunérations stratosphériques qu’elle concède à quelques-uns, mais aussi par son impact sur l’essor des nouvelles technologies. Les travaux d’imminent économistes et universitaires que M.Sekimonyo ne cite pas dans son livre.

J’ai été surpris que dans cet acharnement au capitalisme ne pas avoir révéler cette partie obscure de l’iceberg qui apporte de l’eau au moulin aux inégalités: la Finance.
Dans l’offensive contre le dollar comme outil de réserve, M.Sekimonyo n’a jamais parlé du Gold Standard, l’étalon-or. Ce système monétaire dans lequel l’unité de compte ou étalon monétaire correspond à un poids fixe d’or qui permet de mieux résister à l’expansion du crédit et de la dette. La promulgation de l’Executive Order 6102 en 1933 et la Loi sur les réserves d’or (Gold Reserve Act) en 1934 par le président Franklin Roosevelt à précipiter l’écart entre les classes aux États-Unis au profil des vautours sans scrupule de la finance. Je pense que c’est le point focal de rupture post-dépression de bâtir un nouveaux système plus égalitaire et respectant des valeurs éthiques et morales.

Lire===> La valeur islamo-juridique des pièces de l’Etat islamique

Au delà de la nécessité de repenser les fondements de l’économie, il serait bon plutôt d’élargir la dimension des ces fondements prenant en compte, les enjeux morales, culturels et confessionnels de chaque nation. Ce qui fait la force du capitalisme, le modèle américain, est sa capacité à s’adapter aux réalités nouvelles, bien même qu’il peine à relever les innombrables défis du temps présent auquel il est à l’origine. Chaque nation doit développer son propre système économique basant sur ses valeurs culturelles et son mode de vie. L’envie d’universaliser la science économique est une peine perdue.

Incontestablement, l’éducation demeure la clef. Comme l’affirme l’auteur, l’enseignement supérieur est nécessaire au progrès, mais il s’arrête là où les aspirations des citoyens commencent. Un engagement solide à l’éducation d’un peuple, ne peut pas aider les nations pauvres à rattraper les économies les plus innovantes du monde actuel. Le modèle Allemand accès sur le travail ou le modèle des pays scandinaves fondant sur les revenus salariaux sont fortes intéressent. Mais nous n’avons ni la culture des Germains, ni l’histoire des Vikings.

J’attendrai patiemment le prochain livre qui j’espère découvrir des nouveaux concepts et une approche originale de la valeur, du travail, de la monnaie, du prix, de la production, du commerce, de l’offre et de la demande, en prenant en compte plusieurs dimensions.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Mondoblogueur, Étudiant à vie.


«Daesh» promu à la tête du Conseil des droits de l’homme à l’ONU

Lundi 21 septembre 2015, l’Arabie saoudite à été nommée à la tête d’une commission consultative qui propose des experts pour le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Le « groupe consultatif » est chargé de sélectionner les rapporteurs en charge de thématiques précises comme les crimes de guerre lors d’un conflit ou les violences faites aux femmes. Ces travaux servent ensuite de base au Conseil des droits de l’homme pour émettre des recommandations.

Pour couronner cette promotion, le royaume wahhabite a choisi de décapiter, puis crucifier un jeune Saoudien de 21 ans, Ali Mohammed Al-Nimr, dont le corps monté sur une croix sera exposé publiquement jusqu’au pourrissement de ses chairs.

Ali Mohammed Al-Nimr a été emprisonné à 17 ans pour avoir participé aux manifestations de la région majoritairement chiite de Qatif contre les autorités du royaume wahhabite en 2012. Un royaume aujourd’hui garant des droits de l’homme aux Nations unies. Tout un symbole.

En ce qui concerne l’institution la plus respectée du monde après la Seconde Guerre mondiale, force est de constater que l’ONU n’a aucune valeur ou intégrité morale depuis la fin de la guerre froide. Les horreurs commises sous son parapluie au Yémen et la nomination d’un pays comme l’Arabie saoudite au conseil de droit de l’homme ne sont pas seulement une mascarade qui remet en cause la crédibilité déjà perdue, mais aussi une insulte aux organisations et défenseurs des droits de l’homme dans le monde.

Cette décapitation est aussi une honte aux musulmans et au monde arabo-musulman en particulier. Où sont ces musulmans qui il  n’y a pas très longtemps manifestaient dans les rues des capitales du monde dénonçant la caricature du prophète faite par Charlie-Hebo ?

La décapitation de ce jeune Saoudien prévue le jour de l’Aïd al-Adha ne mérite-t-elle pas une mobilisation mondiale des musulmans contre la barbarie et la cruauté d’un régime au nom de l’islam ?
N’est-il pas lamentable, hypocrite et tristement malhonnête que le sort réservé à Ali ne fasse pas vibrer pas la conscience des musulmans ?

« Le dépeçage du mouton ne lui fait aucun mal après son abattage ». C’est ce qu’avait dit Asma la fille d’Aboubakar, le successeur du prophète, à son fils Aboullah Ibn Zubayr gouverneur de la Mecque en 692, lors de  l’offensive des Omeyyades par Al-Hajjaj ben-Yussef qui le tua, le décapita et crucifia son cadavre à la Mecque. Cette dernière fut bombardée à la catapulte, endommageant un mur de la Kaaba.

La leçon de l’Arabie saoudite en matière de droits de l’homme est bien reçue dans certains pays. Les décapitations de l’organisation EI ou les massacres de Boko-Haram ne seront plus un sujet de polémique pour les médias ou ni une question de sécurité pour les chancelleries occidentales. Le monde est en bonnes mains.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Passionné des études islamiques, défenseur des droits de l’homme


Burkina Faso : la tyrannie du peuple burkinabè

Le 17 septembre, le président de la transition du Burkina Faso Michel Kafando a été renversé par le régiment de sécurité présidentielle (RSP), unité d’élite de l’armée burkinabè et garde prétorienne de l’ancien président, Blaise Compaoré. Une semaine après, les putschistes et les loyalistes sont parvenus à un accord d’apaisement. Michel Kafando a retrouvé son fauteuil de président de transition du Burkina Faso mais l’impasse reste entière.

Le monde entier (ONU, UA, Cédéao) a condamné cette tentative de coup d’État ou plutôt la « prise d’otage » orchestrée par le général Gilbert Diendéré, le chef des putschistes. Cependant, ce dernier coup de force s’est révélé une réalité amère, dont nous avons été témoins durant toute une semaine. La tentative des putschistes à lever la voile sur l’immaturité politique de la classe burkinabè en place et la forme de démocratie que les autorités de transition et les «Sankaristes» cherchent à imposer au Burkina avec l’aide d’un peuple, dont la conscience collective est en récréation.

Cette forme de démocratie n’est rien autre que ce dont le Franco-Suisse Benjamin Constant appelle la tyrannie de la majorité. Il annonce que « L’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer. »

Dans le cas du Burkina Faso, on notera d’abord que ce coup de force du régiment de la sécurité présidentielle intervient à quelques jours de la révélation de l’état de l’enquête sur la dépouille de Thomas Sankara. Un rapport qui pourrait accuser directement le RSP et aussi provoquer des hostilités envers la France qui avait soutenu le régime de Blaise Compaoré. D’où la prudence des services français du renseignement à composer avec un futur régime et un État pro-sankariste au Burkina.

S’il n’existe aucun lien entre les putschistes et les renseignements français, on est en droit de se demander à qui profitent vraiment des événements survenus ces derniers jours pendant une semaine au pays des hommes intègres ?

Ensuite, si le coup d’État est à condamné, les raisons et les demandent des putschistes sont tout à fait légitime. Le général Gilbert Diendéré dit avoir agi pour empêcher la dissolution du RSP et pour protester contre la mise à l’écart d’alliés de l’ancien président pour les élections qui doivent parachever la transition. En effet, constitutionnellement et juridiquement, ni le Conseil national de transition, ni l’Assemblée nationale intérimaire moins encore le président de transition n’ont le droit de faire voter une loi qui empêchera un parti politique et des personnalités de se présenter aux élections. Même s’ils sont les ténors d’une ancienne dictature. C’est au peuple de juger par le suffrage universel. L’Assemblée intérimaire ne peut aussi dissoudre une entité ou prendre des décisions qui relèvent de l’autorité d’un président et d’une Assemblée nationale élue par le peuple. Ce dont n’est pas le cas.

Si les autorités de transition ont de quoi à se reprocher aux anciens ténors du régime Blaise Compaoré, ils doivent se référer à la justice qui décidera des procédures à suivre. Reste à savoir ce qu’est l’indépendance de la justice dans un pays comme le Burkina.

Enfin, nous devons dénoncer le rôle néfaste qu’a joué le Balai Citoyen lors de ces événements. Tantôt de la société de civile, tantôt acteur politique, le Balai Citoyen à plusieurs fois fait appel à l’apologie de la violence dans ses communiqués sur les réseaux sociaux dans le choix des mots et d’expressions notamment envers la médiation de la Cédéao. Nous devons aussi dénoncer le rôle de l’opposition qui interprète des failles constitutionnelles et juridiques selon ses propres intérêts.
Et dénoncer par la même rigueur, l’approche du mouvement politique sankariste qui va dans le sens inverse des idéaux de son fondateur Thomas Sankara.

Si le peuple burkinabè a réussi à faire dégager un dictateur, il est loin de faire une révolution ou de parvenir à une démocratie. Jusqu’à présent les Burkinabè n’ont fait que chasser une tyrannie minoritaire par une tyrannie de masse. Il est encore très tôt de crier démocratie.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjnai
Mondoblogueur, Activiste politique


Tchad: Panique à N’Djamena après la fermeture de l’ambassade des États-Unis

Dans un communiqué publié le 11 septembre, le département d’État des États-Unis chargé des relations internationales a mis en garde les citoyens des États-unis contre tout voyage au Tchad et recommande à ses ressortissants de quitter le territoire tchadien dès que possible.

Les ressortissants américains au Tchad sont prit de quitter le pays dès que possible en raison de la détérioration de la sécurité, annonce dans un communiqué publié le 11 septembre le département d’États américains sur son site.

Selon le communiqué du département d’État américain, les autorités américaines ont autorisé le vendredi 11 septembre, le départ volontaire des personnes à la charge du personnel du gouvernement américain et du personnel non-essentiel du gouvernement américain de N’Djamena.

En conséquence, l’ambassade de Washington à N’Djamena est fermée. Les services  sont réduites aux «services d’urgences» et «limitées».

La raison officielle  de cette décision brusque et inattendue est que le gouvernement du Tchad a peu les moyens pour garantir la sécurité des étrangères sur son sol.
Le département d’État américain prévient ses ressortissants que d
es incidents de vol des voiture à main armée, et d’assassinat ont été signalé à N’Djamena et dans tout le pays. Ces violences sont associées à des accidents de voiture où les foules peuvent se former, peut-on lire.

Mais tout de même, les autorités américaines reconnaissent  qu’il existe actuellement pas des menaces spécifiques connu contre les citoyens américains au Tchad. Mais rappel qu’il y a des organisations extrémistes violentes dans la région, tels que Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui ont l’intention de nuire aux Occidentaux et aux intérêts des occidentaux et sont capables de traverser facilement les frontières. 

Ainsi, on peut clairement se rendre compte de la controverse et du paradoxe des arguments avancés. Qu’est ce qui pourrait bien pousser les américains à fermer leur ambassade à N’Djamena? Les raisons évoquées par le département d’État ne sont pas seulement contradictoire mais aussi    pas convaincantes. Comme on dit: un langage diplomatique qui se veut-être rassurant. Que tout se passe bien. Ou encore «On veut juste évacuer nos ressortissants.»

Cette annonce publiée le 11 septembre, coïncidant avec la date du 14ème commémoration de l’attentat du 11 septembre 2001, a crée un mouvement de panique dans la capitale tchadienne et aux grandes villes. Les Tchadiens se demandent que pourraient être le véritable raison d’une telle décision? Une chose est sûre, quel qu’en soi, c’est assez grave et dangereux pour faire fuir même les «faucons».

Sur les réseaux sociaux, chacun va de sa prédilection. Certains évoquent la détérioration du santé du president Deby, pour d’autres c’est la reprise imminente des hostilités militaires par les rebelles contre le régime de N’Djamena qui pourrait bien expliquer la décision d’aller jusqu’à la fermeture de l’ambassade.  Les États-unis ont pris des mesures similaires lors des évènements du 2 février 2008 lorsque les rebelles ont marché sur la capitale.

En revanche, la nuit, la capitale tchadienne est encerclée par des militaires formant une ceinture à la périphérie de la ville. La population, quant-à elle est terrorisée par des fouilles et les patrouilles des militaires lourdement armée en plein ville la nuit. A cet effet, certains ménages ont commencé à faire d’approvisionnement de nourriture craignant le pire.

Actuellement, le Tchad est le seul pays  concerné par cette mesure préventive de sécurité par les États-Unis. L’autorité américaine est la seule à demander à ses ressortissants de quitter immédiatement le Tchad, qui évacue ses personnels non-essentiels, réduit ses services honoraires et ferme son ambassade. Les autres ambassades occidentaux continuent normalement leur services.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Activiste politique, analyste indépendant


Hissène Habré; seigneur de guerre et tyran

Reporté dès le deuxième jour de son ouverture initiale en juillet en raison de l’absence des avocats de défense, le procès historique du Tchadien Hissène Habré s’ouvre de nouveau ce 7 septembre, à Dakar. L’homme est accusé de crimes contre l’humanité, tortures et crimes de guerre commis lorsqu’il était au pouvoir (1982-1990). Portrait.

C’est aux cris de « A bas l’impérialisme ! A bas le nouveau colonialisme » qu’Hissène Habré a interrompu le 20 juillet dernier la séance d’ouverture de son procès au palais de justice de la capitale sénégalaise où l’ancien président tchadien s’est réfugié depuis 1990. Ajourné pour permettre aux avocats commis d’office de prendre connaissance du dossier, le procès reprend ce lundi 7 septembre.

L’événement est historique, car c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat d’un pays africain peut être jugé par le tribunal d’un pays tiers, en application du principe de « compétence universelle ». Ce principe avait permis il y a dix-sept ans, on s’en souvient, aux policiers britanniques d’arrêter l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet à Londres, à des milliers de kilomètres de son pays. La « première » sénégalaise qui s’inspire de l’exemple de la police de Sa Majesté fait d’ores et déjà trembler, semble-t-il, les autocrates retraités du continent noir qui ont du sang sur les mains.

Une première que Hissène Habré a tout fait pourtant pour éviter. Réfugié depuis la chute de son régime en 1990, au Sénégal, avec sa famille et le magot de 7 milliards de francs CFA (équivalent de 10,5 millions d’euros au taux d’aujourd’hui) dérobés au Trésor public de son pays selon l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, l’homme n’imaginait pas devoir finir ses jours derrière les barreaux à Dakar. Il avait noué des liens étroits au sein de la classe politique locale et de certaines confréries religieuses qui font la pluie et le beau temps au Sénégal. Comme preuve de son intégration réussie, il est allé jusqu’à prendre une Sénégalaise comme troisième épouse ! Mais c’était sans compter sur la ténacité de ses victimes déterminées à traquer leur bourreau pour le voir traduit devant la justice.

La traque a duré plus de vingt ans, jusqu’à un dimanche de fin juin 2013 lorsque les gendarmes sénégalais sont allés arrêter Hissène Habré à son domicile des Almadies (un quartier résidentiel huppé de Dakar, ndlr) pour le conduire dans les locaux de la police judiciaire. Inculpé de crimes contre l’humanité, crimes de torture et crimes de guerre, l’ex-dictateur a été incarcéré. Puis, au terme de 19 mois d’instruction, la mise en accusation définitive a été prononcée en tout début de cette année par les juges. Ceux-ci ont estimé qu’il existait suffisamment de preuves pour que Hissène Habré soit jugé.

Preneur d’otage, anti-kadhafiste et ami de l’Occident

Hissène Habré fut le troisième président du Tchad. Son ascension relevait autant de l’accident de l’Histoire que de la mobilité sociale par les armes dans l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique subsaharienne. Né de parents bergers nomades dans le nord-ouest du Tchad, le futur homme fort de Ndjamena est passé par Paris où, étudiant dans les années 1960, il fréquentait Sciences-Po, la faculté de droit d’Assas et, fit sa culture politique, si l’on en croit ses biographes, en lisant Franz Fanon et Che Guevara. Mais son aura d’intellectuel révolutionnaire en prit un coup lorsqu’en 1974, l’homme enleva  l’ethnologue française Françoise Claustre et la tint prisonnière pendant trente mois dans un maquis du Tibesti.

Ce coup d’éclat destiné à faire connaître les revendications de la rébellion tchadienne finit en drame avec l’exécution de l’émissaire envoyé par le gouvernement français pour négocier la libération des otages. Le crime fut attribué à Habré, mais manifestement Paris ne lui en a pas tenu longtemps grief. Huit ans après, c’est justement avec l’aide de la France qu’en 1982 le jeune chef de guerre renversera le gouvernement de son ancien allié Goukouni Weddeye et prendra le pouvoir à Ndjamena.

Hissène Habré a été le président du Tchad, de 1982 jusqu’à ce qu’il soit renversé en 1990 par son ancien chef de l’armée Idriss Déby Itno, le président actuel. Dans les années 1980, alors que la guerre froide battait son plein, les Français n’étaient pas les seuls à avoir les yeux de Chimène pour le nouveau président tchadien. Les Etats-Unis aussi le soutenaient. En cette période de confrontation entre blocs capitaliste et communiste, l’Occident appréciait chez le jeune seigneur de guerre tchadien devenu chef de l’Etat sa méfiance forcenée à l’égard de la Libye dont les velléités pro-soviétiques, tout comme son soutien au terrorisme international, inquiétaient fortement les stratèges occidentaux.

Contrairement aux autres leaders de la rébellion tchadienne, Hissène Habré n’avait jamais sollicité l’aide de Tripoli. Au contraire, il n’a eu de cesse de dénoncer les visées expansionnistes du Guide libyen Mouammar Kadhafi dont les troupes occupaient la bande d’Aouzou dans le nord du Tchad depuis 1973. En bon connaisseur de l’histoire de son pays, il savait que le danger principal pour l’unité et l’indépendance du Tchad avait pour nom Tripoli et que ce danger s’était accru avec la contestation des frontières héritées de la colonisation par le bouillant colonel Kadhafi.

Tout au long des huit années de pouvoir de Hissène Habré, la France lui a fourni des armes, des soutiens logistiques et des soldats dans le cadre des opérations Manta (août 1983 au novembre 1984) et Epervier (1986) pour l’aider à repousser les offensives libyennes successives. Son zèle anti-kadhafiste a même été récompensé par une invitation à assister au défilé du 14 juillet en 1987, aux côtés de François Mitterrand.

Mais les Stinger et les fusils RFG-7 dont l’armée de Habré était équipée venaient des Etats-Unis. L’administration Reagan avait fait du président tchadien, surnommé « le guerrier du désert par excellence », la pièce maîtresse de sa guerre par procuration contre l’homme fort de la Libye. Selon une enquête du magazine Foreign Policy, « il y avait des moments où l’aéroport de Ndjamena ressemblait à Rhein-Main » (principale base américaine en Allemagne de l’Ouest pendant la guerre froide, ndlr). Le couronnement de cette alliance transcontinentale fut la réception en 1987 du leader tchadien au Bureau ovale, à la demande insistante de l’hôte des lieux, Ronald Reagan himself.

Un tortionnaire sanguinaire

Or pendant que les positions libyennes étaient pillonnées par les troupes de Hissène Habré, les Français comme les Américains fermaient les yeux sur les abus massifs que leur allié africain commettait dans son pays. Le «guerrier du désert » se servait des armes qu’il recevait de ses amis occidentaux pour surtout terroriser sa propre population. La répression a commencé très tôt, dès l’entrée triomphale des troupes de Habré dans Ndjamena en juin 1982. Celles-ci renforcèrent leur pouvoir par la force dès le début, en exécutant les opposants politiques ainsi que les prisonniers de guerre et en terrorisant les civils soupçonnés de vouloir pactiser avec le gouvernement précédent ou avec les Libyens.

Les chroniqueurs des huit années de règne de Hissène Habré racontent l’histoire d’un régime sanguinaire qui tuait, réprimait, torturait et violait les droits humains sans le moindre scrupule. Les partisans de l’ex-dictateur ont tendance à réduire son régime à ses trois grands triomphes guerriers – la prise de Ndjamena en 1982, la défaite de Goukouni Weddeye en 1983 et l’offensive largement victorieuse contre les Libyens en 1987. On pourrait leur opposer les trois épurations ethniques, celles des Sudistes en 1984, des Hadjeraï en 1987 et des Zaghawa en 1989, commises par le régime Habré en représailles contre les rebelles issus de ces communautés.

Les victimes de ces meurtres de masse se comptent en dizaines de milliers, 40 000 selon les estimations d’une Commission d’enquête tchadienne en 1992. Le chiffre serait 10 fois plus, selon les ONG. Ces dernières ont aussi attiré l’attention sur les assassinats politiques et les tortures systématiques perpétrées par la terrifiante police politique du régime, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), dont les chefs rendaient compte exclusivement à Habré et appartenaient tous, comme leur leader, au clan des Goranes.

Cette tribalisation exacerbée du régime n’a pas toutefois empêché le pouvoir de Hissène Habré de s’effondrer en 1990, lorsque la répression toucha les compagnons d’armes les plus proches du dictateur, dont son bras droit et conseiller chargé de la Défense et de la sécurité, un certain Idriss Déby Itno. Fragilisé par la prise de distance de son allié français, le maître de Ndjamena n’eut alors d’autre option que de prendre la fuite lorsque le Tchad fut envahi, au cours des derniers mois de 1990, par les troupes de Déby, qui elles  étaient massivement soutenues par les Libyens.

Mascarade et complots

Hissène Habré a débarqué dans la capitale sénégalaise, le 11 décembre 1990, en passant par le Cameroun. C’est Abdou Diouf qui lui a accordé l’asile politique, l’assortissant de consignes strictes : la teranga sénégalaise, contre l’obligation de réserve et l’interdiction de se mêler de la politique. L’ex-président tchadien a tenu parole, menant pendant vingt ans une vie rangée, cultivant l’image d’un père de famille dévoué et fréquentant assidûment la mosquée.
Pendant ce temps, les crimes du régime ont fait l’objet d’enquêtes et de révélations macabres. Les premières plaintes sont déposées contre l’ex-dictateur à Dakar en 2000. La découverte à Ndjamena des archives de la police politique en 2001 a révélé l’ampleur des crimes perpétrés par Habré et ses hommes de main, mais il va falloir attendre l’élection à la présidence à Dakar de Macky Sall en 2012 pour que les poursuites puissent être engagées contre l’ex-dictateur tchadien au sein du système juridique sénégalais. Les Chambres africaines extraordinaires mises en place à cet effet par le Sénégal, en collaboration avec l’UA, font arrêter Hissène Habré le 30 juin 2013, avant de l’inculper. Pour ce dernier, tout cela n’est que mascarade et complots ourdis par ses ennemis et son successeur pour discréditer son action politique à la tête de l’Etat tchadien. Son rôle n’aurait été que politique, selon les défenseurs du dictateur déchu.

Or, selon Reed Brody, le tenace avocat new-yorkais de Human Rights Watch qui porte à bout de bras la campagne des victimes du régime tchadien depuis 16 ans, Hissène Habré était tout sauf un chef politique « distant » qui se contentait de fixer des orientations et donner des ordres. « Contrairement au Chilien Pinochet, le Tchadien était, affirme-t-il, un intellectuel qui se méfiait de son entourage et s’assurait lui-même de la « bonne » exécution de ses instructions. Les archives montrent qu’il lui arrivait parfois de suivre les interrogatoires des opposants par talkie-walkie. Habré n’était pas seulement politiquement responsable des graves crimes perpétrés en son nom, il en est aussi juridiquement responsable ».

D’ailleurs, les 4 000 rescapés de l’ère Habré qui se sont constitués partie civile dans le procès qui reprend ses travaux ce 7 septembre, sont persuadés que leur vrai bourreau n’était autre que le dictateur en personne. Ce dernier, pour sa part, ne reconnaît ni la légalité ni la légitimité de la cour qui a été spécialement créée pour juger ses crimes très largement documentés par les ONG et les associations. Contraint par le tribunal d’assister aux audiences, l’ex-autocrate ne pourra pas ne pas écouter les victimes qui se succéderont à la barre pour témoigner de la violence dont ils furent l’objet, certains dans la notoire « Piscine » de Ndjamena transformée en prison, où les prisonniers ne mourraient pas seulement de faim, d’inanition ou de maladies !

 

Tirthankar Chanda pour le service de la Radio France Internationale