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Tunisie: l'impossible reconversion d'Ennahda

Le parti islamiste tunisien Ennahda, l’ancien parti au pouvoir, tient son 10e congrès à Radès, près de Tunis, du 20 au 22 mai 2016. Le mouvement a dirigé le pays après la révolution qui a provoqué la chute de Ben Ali entre octobre 2011 et janvier 2014. Lors de ce congrès, il pourrait ainsi réviser sa doctrine et ne plus se définir comme un mouvement religieux. Une reconversion risquée et dangereuse.

Symbole de la révolution des peuples arabes qui a précipité la chute les régimes dictatoriaux et corrompus au Maghreb et au Moyen-orient, la Tunisie est le seul pays dans la région à avoir réussi à éviter l’anarchie libyenne, le désastre syrien ou encore l’impasse égyptienne.
Dans tous les pays où le vent de la révolution a soufflé, celui-ci a servi aux mouvements et groupes islamistes plus ou moins radicaux. Très vite, le printemps arabe s’est transformé en un véritable cauchemar.

Les acteurs de la révolution se sont retrouvés dans une lutte perpétuelle contre les islamistes propulsés au pouvoir. Comme une épée de Damoclès, la gouvernance tumultueuse des islamistes en Tunisie est rythmée d’assassinats des leaders politiques de l’opposition, de corruption et de tentative de « saoudisation » de la société tunisienne. Après une expérience chaotique, le parti islamiste Ennahda perd le pouvoir lors d’un scrutin électoral face à un bloc issu des partis d’oppositions libéraux et de la société civile. Mais elle est contre toute vraisemblance un exemple de démocratie par rapport aux d’autres pays tels que la Libye, l’Égypte, le Yémen, le Bahreïni ou le Liban.

Du religieux au civil : pas vraiment

Fondé sur une doctrine de l’islam omeyyades, elle est l’expression du rejet du colonialisme occidental dans la région. Une forme de guerre idéologique et confessionnelle moderne. Qu’elle soit pacifique ou djihadiste, l’objectif est le même : gouverner selon leurs interprétations de l’islam.

En toute logique, les délégués du parti devraient lors ce congrès restreindre l’activité du parti sur la seule action politique. Ainsi, ses activités de prédication religieuse seront prises en charge par un réseau associatif extérieur au parti, mais idéologiquement proche. Les discours politiques seront de nature plus laïcs. Selon les textes, Ennahda pourra dès lors se définir comme un parti « civil », mais dans les faits, ce n’est que la continuité plus belle de l’islam politique.

Inspiré par la Taquiya chiite, les islamistes sunnites développent dans les années 90 une stratégie similaire pour faire face aux mouvements libéraux et leurs alliés occidentaux.
Critiqués sur leur posture religieuse ostentatoire et l’exclusion voire l’oppression des minorités religieuses, ceux-ci se trouvent contraints de se convertir à un modèle beaucoup plus ouvert et civique.

Les islamistes au Soudan étaient les premiers à se lancer dans une telle reconversion pour essayer de répondre aux critiques, notamment des populations du sud majoritairement chrétiennes et athées, et faire face aux groupes armés séparatistes du sud.  L’aile civique des islamistes est alors appelé le Congrès National, beaucoup plus ouvert, qui prend en compte la diversité socio-religieuse du Soudan.
Le parti islamo-conservateur turk -AKP- s’est lancé dans la même logique en 2002 pour contrer les critiques des libéraux laïcs et s’ouvrir plus à l’imposante chrétienté en Turquie.

Chez les islamistes, gouverner par la charia, ce n’est pas simplement une question de statut juridique et constitutionnel. Leur lutte s’inscrit dans une volonté divine, la foi. Elle peut prendre des formes différentes selon les exigence du moment et du lieu, avec des moyens diversifiés. Renoncer à cette doctrine c’est renoncer à l’islam, à la parole de Dieu et à soi.

Chez les islamistes comme en politique, tous les coups sont permis.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Activiste politique, passionné des études islamique

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