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Quelle démocratie pour un Tchad pluriel? (Deuxième Partie)

Lors d’une discussion que j’ai eu avec une personnalité diplomatique européenne sur la nature répressive du pouvoir de N’Djamena, je lui disais que Deby est le protégé de longue de la France et qu’elle risque de tout perdre dans ce pays si elle insiste dans sa politique francafricaine.
Lui faisant comprendre qu’il est plus facile de mobiliser le peuple contre la «France impérialiste » que pour faire face à celui qui les opprime, il me répond en me posant cette question : Comment un régime aussi faible et incompétent comme celui d’Idriss Deby peut vous gouverner, vous les tchadiens, pendant tout ce temps?

Face à cette question du «comment» dont tout activiste avisé peut lui faire des heures de conférence, une autre question me vint en tête. C’est le « Pourquoi ». Pourquoi une personnalité comme Idriss Deby Itno, qui n’a vraiment rien dans la cervelle, a pu faire face à toutes les tentatives visant à le renverser?
ِUn certain nombre d’articles critique, d’ouvrages et d’études ont tentés d’apporter des éléments de réponse comme le livre de Marielle Debos : « le Métier des armes au Tchad » et bien d’autres.
Ayant des idées en tête, celles-ci ne suffisent pas à me satisfaire et à me convaincre de l’impasse politique dont est submergé les tchadiens depuis fort bien longtemps.

En fait, et comme je le dis souvent, le problème du Tchad réside au niveau des acteurs politiques eux-mêmes. Au-delà des discours creux et des slogans sans saveurs, écartons les profils accordéons, politicards, égocentriques, ignorants et/ou tribalistes qui infestent la sphère politique tchadienne.
Une grande majorité des leaders politiques, surtout de l’opposition, manquent cruellement de culture politique globale et, surtout, d’une vision stratégique.

Comment se fait-il que ceux qui ont cette vision de la liberté pour leur peuple ne préparent pas également un plan clair pour atteindre leur but ? Sans doute, malheureusement, ils n’en comprennent pas la nécessité et/ou ils ne sont pas habitués ou à penser stratégiquement car pour eux c’est une tâche inutile. Ils ne jurent que sur la stratégie militaire, comme c’est le cas de l’opposition politico-militaire en exil.

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Harcelés sans cesse par Deby et sa bande de bouffons, et débordés par des responsabilités immédiates, les meneurs de la résistance n’ont ni la sécurité, ni le temps pour initier une réflexion de niveau stratégique.
Leur schéma habituel est simplement de réagir aux initiatives du régime dictatorial. L’opposition est toujours sur la défensive et cherche à maintenir quelques libertés limitées ou quelques bastions, comme dans le cas de la fameuse CPDC, s’il en existe encore.
Au mieux, elle tente de ralentir la progression des contrôles dictatoriaux ou de perturber la mise en œuvre des nouvelles politiques du régime.

La plupart ne voient pas la nécessité d’une planification d’envergure sur le long terme pour un mouvement de libération. Ils se disent naïvement que s’ils épousent leurs desseins avec insistance, fermeté et persévérance, ils finiront par se réaliser. D’autres estiment que s’ils se contentent de vivre et de témoigner selon leurs principes et leurs idéaux dans l’adversité, ils auront fait le maximum pour les appliquer.
Il est admirable d’embrasser des buts humanitaires et d’être loyal vis-à-vis de ses idéaux, mais c’est absolument insuffisant pour mettre un terme à une dictature et parvenir à la liberté.

D’autres opposants s’imaginent, naïvement là aussi, qu’à condition d’y mettre assez de violence, la liberté viendra. Mais, la violence ne garantit pas le succès et l’histoire politique du Tchad est témoigne.
Au lieu de libérer, elle conduit parfois à la défaite, à la tragédie collective, ou aux deux à la fois sans oublier les activistes qui agissent en fonction de ce qu’ils « sentent » devoir faire. Non seulement cette démarche est égocentrique, mais elle n’offre aucune ligne directrice pour développer une stratégie globale de libération.

Les élites de l’opposition les plus éclairées ont certes ce souci de la planification, mais ils ne savent pas y réfléchir autrement qu’à court terme ou sur des bases tactiques. Ils ne peuvent concevoir qu’une planification à long terme soit nécessaire ou même possible. Ils sont incapables de réfléchir et d’analyser en termes stratégiques, ce qui les conduit à s’égarer constamment dans des questions peu signifiantes, le plus souvent pour répondre aux actions et provocations du régime. Dépensant ainsi tant d’énergie dans des activités à court terme, ils négligent l’exploration d’autres possibilités d’action qui pourraient rediriger l’ensemble des efforts vers le but ultime.

Les autres, pour la plupart, omettent de préparer une stratégie complète et ne s’intéressent qu’aux questions immédiates, mais ceci pour une autre raison : au fond d’eux-mêmes, ils ne croient pas que Idriss Deby puisse être abattu par leurs propres efforts.

Ils considèrent donc la planification comme une perte de temps ou un exercice futile et naïf.
Et comme on peut le constater (avec le mouvement de l’Est par exemple) le résultat d’un manque de planification stratégique est désastreux: on dissipe ses forces, on gaspille son énergie à résoudre des problèmes mineurs, les avantages ne sont pas véritablement exploités et les sacrifices sont lourds.
Malheureusement, comme des plans stratégiques clairs ne sont jamais développés, cela a permis au régime obscurantiste du MPS de survivre des décennies, bien plus qu’il ne l’aurait dû.

Djarma Acheikh Ahmat Attidjani
Activiste politique; Analyste indépendant

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djarmaacheikh

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