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Hollande à Ndjamena : cynisme impérial

Le cynisme affiché pendant la récente visite du président français à son homologue tchadien assoit et justifie l’iniquité et la tyrannie que ce dernier exerce sur son peuple. Des impératifs de sécurité justifient paraît-il la démarche de la diplomatie française, d’inspiration socialiste qui hier jurait avant de prendre le palais de l’Élysée que le temps du commerce avec les tyrans était dépassé.

L’objectif et la conséquence de la visite du président Hollande

La sécurité de la région et Tchad aurait justifié ce déplacement. Qui sont donc les bénéficiaires de cette sécurité pour laquelle on installe des arsenaux et des régiments ? Il est à douter que le peuple tchadien en fasse partie. En matière de sécurité des populations, il a été reproché au président et ses proches la terreur d’État dont ils ont fait preuve en appuyant leur ancien allié Bozizé il y a une décennie, puis ensuite au soutien à peine voilé à ceux qui l’ont renversé sous le nom de « Seleka » ? N’est-ce pas ce jeu trouble de Ndjamena qui a également conduit à la vendetta des populations d’origine tchadienne en Centrafrique ?

Cette visite fait partie d’un processus de rapprochement politique inédit entre le régime actuel au Tchad et le gouvernement français. Le renforcement des moyens et des champs de coopération entre la France et le Tchad renforcera nécessairement la terreur organisée à l’intérieur du territoire tchadien par ce régime, contre la société civile, les journalistes et l’opposition politique.

Quel décalage avec l’histoire en marche ! Cette démarche politique est incohérente et anachronique. Voilà qu’en ce début de XXIe siècle, alors que les jeunesses africaines, comme celles du Tchad dont 70 % de la population a moins de 25 ans, regardent vers un avenir où les mots de liberté politique, de liberté économique couvriront une réalité tangible, voilà qu’on propose un ersatz d’opération Condor à un dictateur africain de plus au nom d’une sacro-sainte realpolitik, mauvais cache- sexe d’un besoin de sécurisation de points d’accès aux matières premières. 

« La France a les mêmes principes partout »

«  La France a les mêmes principes partout, fondés sur la démocratie et le pluralisme » aurait déclaré le président Hollande en réponse à la question
devenue presque rituelle pour les journalistes internationaux lorsque le président d’une démocratie visite un homologue dictateur.

Le président Hollande nous apprend donc que l’Etat tchadien est une abstraction, son territoire et son peuple surtout, puisque le « partout » en question l’exclut.
Le catalogue récent des œuvres du régime tchadien en témoigne, il contredit les mots mêmes d’humanisme et de liberté. Les allégations de meurtres d’opposants politiques, d’arrestations de journalistes de l’opposition ainsi que les accusations de corruption d’État sont pléthoriques.

La société civile et l’opposition doivent s’organiser

La société civile et l’opposition politique au Tchad s’étonnent de ne pas avoir fait l’objet, ne serait-ce qu’à titre symbolique, de l’attention des autorités françaises lors de cette visite. L’installation d’une base de commandement militaire en plein cœur de la capitale du pays est un acte politique solennel et grave. Le défaut total d’échange ou de consultation, même pour simple avis, de membres de l’opposition et de la société civile souligne ainsi le mépris sans nom dont ils font l’objet, lorsqu’il s’agit du pays dit  « des droits de l’homme ». On devrait rajouter ici « l’homme  non tchadien » pour être plus juste.  Renforcer les capacités militaires du régime tchadien, c’est renforcer sa tyrannie.
Cette attitude peut conduire à ne laisser au peuple qu’un seul choix pour atteindre la liberté,  celui qui est aussi une impasse,  qui passe par les armes.  Il faut remarquer aussi que la France, souvent si prompte à soutenir les peuples opprimés qui prennent les armes en défense, comme en Syrie en ce moment ou hier en Libye, considère en général toute opposition armée de son « pré-carré » négro-africain comme illégitime.  Parce que les nègres n’ont pas le droit de défendre leur liberté par les armes ?

Le grave aussi serait pour cette opposition et cette société civile de ne vouloir compter, sur la scène internationale, que sur l’ancien pays colonisateur pour amorcer ce fameux dialogue avec la société civile et les représentants de l’opposition. Finalement, au regard du mépris dont ils font l’objet, pourquoi vouloir toujours s’obstiner à n’avoir qu’un seul partenaire, qui passe trop souvent de « privilégié »  à unique ?

Il faut souligner aussi l’apparente impuissance de cette société civile et des forces d’opposition politique formelle ou non formelle à s’organiser en vue d’avoir des résultats efficaces quant à leurs buts et objectifs.  Il n’est pas facile de s’organiser face au tyran.  Celui-ci a des moyens illimités pour corrompre, acheter, flatter ou supprimer ceux qui ne partagent pas ses avis, organiser les contre-pouvoirs qui le limiteront n’a jamais été une tâche facile.
Cette société civile au Tchad ou ailleurs en Afrique s’ouvre de plus en plus au monde.  Presque au même moment où le président Hollande se rendait au Tchad pour visiter le Maître de Ndjamena,  le président américain recevait 500 jeunes représentants de cette même société civile africaine, objet du mépris de la diplomatie française.
Le secrétaire d’État américain déclarait en ouverture de cette conférence, en faisant référence au partenariat entre les pays d’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis :
« Il est temps de passer a la nouvelle étape de ce partenariat en investissant dans la meilleure de toutes les ressources naturelles : ses habitants »

Il est temps que l’opposition et la société civile tchadiennes s’organisent pour mieux atteindre leurs buts politiques et qu’elles s’ouvrent de plus en plus, comme elles ont commencé à le faire, au nouveau monde géopolitique qui s’annonce devant elles.

Abdelkerim Yacoub Koundougoumi
Activiste politique tchadien

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Auteur·e

djarmaacheikh

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