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Hommage au Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh Yakhoub

Ibni-Oumar Mahamat Saleh est un universitaire et homme politique tchadien, porte-parole de l’opposition parlementaire a été enlevé le 3 février 2008 à son domicile par les gardes rapprochés de Deby lors de la bataille de N’Djamena. Il est depuis lors porté disparu, jour après jour, sept ans aujourd’hui sa famille n’a aucune nouvelle de lui.
Le pouvoir français complice de sa disparition observe le silence pour légitimer un régime dictatorial et corrompu du président Idriss Deby Itno au pouvoir par un coup d’État depuis 1990 au détriment des valeurs humaines et des principes fondamentales.

 

Témoignage de Mahamat Djarma Khatir (réactualisé)

Ibn Oumar Mahamat Saleh est condamné à mort depuis 1996. Il le savait et il me l ’ a dit. En homme de conviction et loyal vis-à-vis de lui-même et de ceux qui ont cru en lui, il attendait courageusement ce moment fatidique que seul le Président Deby, ayant le droit de vie et de mort sur les tchadiens peut choisir. En effet, quelques semaines avant la campagne présidentielle de 1996, Ibni assistait à un meeting de l ’ opposition contre toutes attentes. En effet le PLD, parti politique qu’il dirigeait était considéré en ce moment comme un parti de la Mouvance présidentielle. Prenant la parole à cette occasion, Ibni Oumar a prononcé un discours digne d ’un intellectuel intègre, engagé au verbe facile et incisif, tout en étant éloquent et convaincant. Un chef de parti politique présent en ce moment me demanda si je comprenais quelque chose dans cette attitude nouvelle du dirigeant du PLD ? Je lui ai répondu que s ’ il est vrai que le PLD est un enchevêtrement compliqué aux contours difficile à saisir, Ibni Oumar quand à lui est un vrai révolutionnaire qui sait ce qu’il veut dans cette forêt de transfuges, de taupes et des indécis qui finiront par imploser. Mais une semaine plus tard après ce meeting important, alors que j ’ écoutais la Radio Tchad, et à ma grande surprise, Ibni Oumar fit une déclaration inattendue. Il disait en substance ceci « pour des raisons objectives et subjectives, le PLD apporte son soutien à la candidature de Idriss Deby à l ’ élection présidentielle. Cette déclaration fut pour moi comme un coup de massue me laissant pantois , Je ne pouvais dès lors rester indifférent à cette nouvelle donne politique et je me précipite au domicile d ’ Ibni Oumar et dès que je pénètre dans le salon il m ’ apostropha en premier et me dit « je sais ce qui t ’ amène. Tu m ’ as certainement suivi sur la Radio Tchad n ’ est ce pas ? Je voulais des éclaircissements sur ta déclaration. car si je pouvais deviner les raisons objectives auxquelles tu fais allusions, je voulais néanmoins savoir ce que tu entends par « les raisons subjectives » ! C ’ est alors qu’il m ’ explique que cette interview a été réalisée sur le perron de la présidence de la république. Il m ’ explique alors comment il a été convoqué par Idriss qui le reçut furieux, hors de lui et complètement délirant. Cette audience avec Deby s ’ est passée dans un climat de tension extrême.

Ibn Oumar m ’ informe que Deby l ’ aborde sans lui dire bonjour en des termes virulents et lui dit « écoute Ibn je n ’ accepterai jamais qu’un ressortissant de la région de Biltine soit candidat contre moi.  Tu t ’ abstiens de te porter candidat sinon tu es un homme mort. Je te tuerais. tu ne dois faire part à personne de cet entretien. Je te demande de faire immédiatement une déclaration soutenant ma candidature avant que tu ne rentres chez toi » et il ajouta « au PLD, tu es le seul qui refuse de coopérer avec moi ! Qu’est ce que cela veut dire ? » La suite est connue de tous car après cette présidentielle Ibn se porte à la prochaine échéance de 2001, candidat au poste de Président de la République du Tchad. Cette fois ci c ’ est lui qui vient m ’ annoncer la nouvelle et à vrai dire je m ’ attendais à tout sauf à cette décision de mon ami. Je décide sur le champ de le dissuader de se porter candidat car je lui explique ce qu’il sait déjà car les résultats des élections au Tchad se décident à la présidence à l ’ aide des ordinateurs et non dans les urnes. Je lui dis que Deby lui attribuera selon sa convenance 1 ou 2% rien que pour le ridiculiser. C ’ est son jeu favori. Je lui rappelle également les menaces qu ’ ils lui ont été proférées en 1996 et que cela pouvait être toujours d ’ actualité. Ibni me répondit qu ’ il était conscient de toutes ces réalités mais qu’il avait décidé de faire avec. Nous avons longuement discuté en évoquant tous les aspects de la question y compris les facteurs exogènes qui entourent la problématique tchadienne du moment, et qui pèsent sur sa décision. Mais j ’ avais en face de moi un Ibni convaincu de ce qu’il faisait et déterminé à jouer plus pour le Tchad que pour lui-même car il ne pouvait supporter que face à Deby, il n ’ y aurait que des candidats issus du Sud du Tchad et me posa alors la question suivante « accepterais-tu Djarma que l ’ on devienne des complices objectifs d ’ un système antinational ? Je lui rappelle néanmoins que parmi ceux qui l ’ encouragent dans cette voie , il a des candidats qui en 1996 ont introduit une requête en annulation du 1 er tour des élections présidentielles et qui ont quand même accepté d ’ aller au deuxième tour moyennant une démocratie consensuelle et participative en plus de quelque chose. Ils ont abandonné leurs partenaires et collègues. Ils ont préféré laisser leurs camarades sur le carreau pour leurs propres calculs. Si Ceux qui avait décidé de boycotter le deuxième tour avait accepté à l ’ époque de jouer le jeu et d ’ accompagner Deby au 2 ème tour personne ne se serait soucié de ceux qui avait trahi ; mais comme la décision de boycott était une décision collective face aux fraudes massives, la dignité et le respect de la parole donnée imposait une attitude et une conduite plus responsable. Malgré mes explications Ibni est resté inflexible et rien ne pouvait le détourner de son dessein. J ’ avais alors vu dans cet homme et dans sa détermination l ’ accomplissement peut être d ’ un destin. Il pouvait avoir raison car c ’ est un défi et que probablement les séquelles des menaces proférées contre lui par Deby en 1996 avaient laissé des séquelles que le temps n ’ avait pas effacé et qu’elles continuer de le ronger. La candidature de Ibni accouchée dans la douleur a provoqué un véritable séisme sur l ’ échiquier politique national et au sein même du PLD qui dès le départ était une formation compliquée, véritable sac de nœud. Cette candidature scella également et de manière définitive la dualité Deby-Ibni-Oumar. Ce dernier était désormais pour Deby la personne qui lui faisait absolument de l ’ ombre.

L ’ accord du 13 Aout, chef d ’ œuvre politique et qui est l ’ illustration des expériences accumulées de sept scrutins, véritables jeu de dupes que le MPS a organisé depuis son arrivée au pouvoir, ne pouvait laisser Deby indifférent devant un adversaire de taille comme Ibn Oumar. A cela s ’ ajoute l ’ implication de l ’ Union européenne qui participe à la mise en œuvre de cette « méchante » trouvaille.

Pour moins que cela, ce système n ’ avait pas hésité à éliminer Monsieur « GUETTI » qui s ’ est porté candidat aux législatives dans le BET et qui ironie de l ’ histoire aurait reçut les mêmes menaces de mort; s ’ il s ’ avisait de se porter candidat car le dictateur ne peut supporter qu’un ressortissant de cette région soit candidat contre le MPS. Les menaces contre Guetti ont été mises en exécution froidement à Faya. Mais une chose est désormais sûre : Ibni Oumar Mahamat Saleh disparu est encore plus dangereux pour le MPS que présent. Les idéaux qui lui sont chèrs tels l ’ intégrité, la loyauté, l ’ honnêteté, la rigueur dans la réflexion intellectuelle et la franchise sont des qualités que le MPS et leur chef développent justement le contraire. Fin du témoignage

La disparition

En février 2008 Ibni Oumar Mahamat Saleh, Secrétaire Général du Parti pour les Libertés et le Développement (PLD) et Porte Parole de la Coordination des Partis Politiques pour la Defense de la Constitution (CPDC) était enlevé à son domicile de N’Djamena, devant sa famille, par les forces armées gouvernementales, et porté disparu après une attaque avortée des forces rebelles sur la capitale N’Djamena que les forces gouvernementales ont arrêté plusieurs leaders de l’opposition n’appartenant pas aux forces rebelles.
À la suite dune mobilisation internationale, une commission d’enquête tchadienne a été mise en place, qui a conclu en septembre 2008 qu’Ibni Saleh était selon toute vraisemblance « décédé mais l’implication du président tchadien Idriss Déby Itno dans cette affaire ne laisse que peu de doute.

Le 7 février 2012, la famille d’Ibni Oumar Mahamat Saleh a déposé plainte devant le Tribunal de grande instance de Paris pour enlèvement, séquestration, torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant ; une première décision, confirmée en juin 2013 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, autorise une enquête sur la disparition du porte-parole de l’opposition. La politique française en Afrique ayant eu récemment recours aux forces tchadiennes, l’action en justice portée devant le TGI de Paris met François Hollande dans l’embarras.

Depuis lors Ibni-Oumar est devenu l’Icône des disparus et des victimes de la cruauté des régimes au Tchad. Chaque année la diaspora tchadienne célèbre une journée de commémoration de sa disparition et exigé que les auteurs seront traduit en justice.
 »Nous ne devons pas nous rendre complice de cette seconde tentative d’assassinat. » lance son ancien camarade Acheikh Ibn-Oumar en exile en France.

Extrait  » … Refuser la seconde mort d’IBNI
La mort physique est la conclusion normale de chaque existence. Cependant, elle nous paraît toujours injuste et prématurée, même quand elle intervient de façon naturelle, à un âge très avancé.
Dans le cas d’Ibni, la mort l’a grandi.
Ses qualités humaines, scientifiques et politiques ont été comme révélées par le vide qu’il a laissé.
Son martyre est devenu l’emblème de tous les assassinats politiques au Tchad.
La date de sa disparition (03 février) est en train de devenir une référence pour rendre hommage, au-delà de sa personne, à toutes les victimes des assassinats politiques au Tchad : Me Joseph Behidi, Bichara Digui, Mamadou Bisso, Moïse Ketté, Abbas Koty, pour ne citer que ceux-là.
Aussi, son image est en train de s’installer dans le panthéon tchadien comme le modèle même de l’intellectuel compétent et consciencieux, et du leader politique intègre, patriote ; une référence, un modèle pour la génération montante.

C’est là que le régime réalise qu’en le tuant, il l’a rendu encore plus grand, plus mobilisateur, qu’en le tuant il l’a rendu plus vivant !
Au lieu que cela les amène à se rendre compte de la gravité de leur faute, et d’essayer de réparer ce qui peut l’être, les tenants du pouvoir, sont obsédés par la désir de tuer le symbole, après avoir tué la personne physique.
A cette occasion, je ne m’empêcher de penser à un autre grand martyr de la cause tchadienne, le Dr Outel Bono, assassiné en Paris, en août 1973, par un ex-agent français très probablement pour le compte du régime Tombalbaye; le parcours et la personnalité de ces deux grands fils du Tchad présentent beaucoup de similitude.
Les deux principaux moyens pour tenter de tuer le symbole Ibni, c’est d’abord d’enterrer l’enquête, en espérant qu’avec le temps, l’oubli va s’installer, et ensuite de tenter de brouiller la nature humaniste, pacifique et laïque de son message, afin de discréditer son héritage politique. »

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Auteur·e

djarmaacheikh

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