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Idriss Déby a-t-il piégé François Hollande ?

L’intervention française en cours en Centrafrique constitue un véritable bourbier pour l’exécutif français. Le parapluie de l’ONU ne change rien quant à l’implication de la France. Faut-il rappeler que la France se trouvait déjà à la porte de la Centrafrique avant même que le Conseil de sécurité de l’ONU ne donne soin feu vert.

 

Pourquoi, la France intervient-elle nécessairement en RCA? Premièrement, en tant qu’ancienne puissance coloniale, la France nourrie d’un sentiment paternaliste se voit la seule à devoir faire cette mission. L’histoire tumultueuse de la décolonisation a été marquée par les fameux accords dits de soixante, qui ne sont autre chose que la légalisation du néocolonialisme. Devenue la Françafrique, cette machine redoutable qui broie les gros bébés prend bien des couleurs en fonction de celui qui la manie : droite ou gauche française. Les réalités têtues de l’histoire coloniale faisant le reste.

Deuxièmement la Françafrique s’appuie sur des leviers forts et imbriqués :

a- La culture donc de la langue, historiquement, celle-ci constituait un facteur majeur de la stratégie française. Le rayonnement de la France chevaleresque en dépend. Et ce ne pas l’imparable avancée de l’anglais dans le continent qui laisserait la France indifférente.

b- L’économie vue sur l’angle de l’industrie minière et agricole. Il est difficile pour la France de voir échapper de son contrôle, les richesses qu’elle dominait il y a sous peu de temps. Puisque les accords dits de 60 stipulent que toute exploitation de matière première ne peut s’opérer qu’en concertation avec la France. Beaucoup d’eau a coulé depuis ce fameux temps. L’entrée fulgurante de la Chine, de l’Inde, du Brésil et autres sur son (pré carré) terrain de prédilection français constitue une défiance inadmissible.

Troisièmement, la France membre du Conseil de sécurité de l’ONU ne peut pas se désintéresser totalement d’une influence que lui procure une audience internationale dans un monde en pleine mutation imposée par les choix stratégiques qu’impose le XXIe siècle.

L’échec patent du mondialisme a créé un séisme désastreux pour les économies et les finances dans tout l’Occident. Il est clair que malgré les propos lénifiants des dirigeants politiques tendant à temporiser la colère des travailleurs la reprise de la croissance n’est pas pour demain. Cette situation porte en elle une nouvelle forme de guerre froide que les puissances feignent ignorer, mais ça ne sera plus pour longtemps. La France se doit de se chercher une place au soleil dans ce monde impitoyable.

Quatrièmement, le poids d’un passé lourd chargé d’un mélange de sentiment de proximité et de responsabilités historiques fait que la France ne peut pas donner aux Africains l’impression qu’elle les jette à la merci d’un sort pour lequel elle est aussi responsable. Ces pays qui se cherchent encore après plus de cinquante ans d’indépendance sont incapables de s’affranchir d’une tutelle à laquelle ils sont comme par enchantement attachés aveuglément. Leur subconscient ne cesse de dire : Français tenez-nous bien sinon on fait un malheur.

Ces réalités portent d’énormes charges d’émotions, de calculs de stratégies, de coups fourrés de croc en jambe, de l’affairisme, de l’opportunisme et parfois de la méchanceté. Ceci est valable de quel côté que l’on se place.

Dans cette panoplie de choix, certainement Idriss Déby a trouvé l’occasion de se livrer à son jeu favori : manœuvrer,  intriguer et torpiller. Si on peut douter du démon qui habiterait son âme, il est quasiment indéniable qu’il a hérité de l’esprit du Machiavel.

La logique voudrait que Déby, qui doit tout à la France grâce à laquelle il est arrivé et a été maintenu au pouvoir pendant plus de 23 ans (en dépit de la volonté du peuple tchadien),  lui reste toujours reconnaissant. Il n’y a pas une seule élection gagnée par Déby sans la machination, la caution intempestive et arbitraire de la France. Mais ceux pour lesquels la méchanceté est un caractère se font un plaisir de payer le bien en monnaie de singe.

Si l’administration française se targue de connaître l’Afrique et les Africains, dans la réalité ce n’est pas toujours vrai. Bien au contraire, les Africains connaissent la France pour avoir étudié sa langue, donc sa culture. L’histoire et la géographie d’un pays n’est qu’une partie infime des hommes qui le peuplent. La plupart des Africains portent en eux plusieurs personnalités. Ils traitent avec celle qui convient à l’interlocuteur et agissent avec une autre en fonction des intérêts et objectifs. Idriss Deby est dans ce dernier stéréotype phénoménal.

Ceci dit, Hollande arrivé au pouvoir, c’est le socialisme, ennemi juré de Déby car, plusieurs dossiers les opposent. Pendant longtemps Idriss Déby frappait à la porte de l’Élysée sans succès, il en était malade. Plusieurs chefs d’Etat africains étaient reçus et pas lui. Pour Déby, c’était une humiliation inadmissible. La France doit le payer.

L’occasion tant recherchée se présente avec la Misma sous prétexte que l’armée nationale tchadienne est de l’une des  mieux formées d’Afrique. Il a suffi que la France lève le petit doigt pour que Déby devance la troupe française sur le terrain du désert malien. S’il devait faire tuer mille Tchadiens pour qu’il se fasse une place au soleil, Déby le ferait sans état d’âme. Les Tchadiens ne sont rien pour lui, ils sont moins que des sujets. Ses expéditions aux deux Congo, au Togo, au Soudan et plusieurs fois en Centrafrique sont une illustration sans équivoque. Personne ne saura le nombre de morts même pas lui. Ils sont morts pour sa gloire à lui et lui seul.

Si les paramètres de M. Hollande sont les intérêts stratégiques de la France, ceux de D2by sont ceux de son ego, de son prestige et de sa pérennité au pouvoir. Et pourquoi, si une occasion se présentait à Déby, ne pas rouler ses partenaires obligés dans la farine et leur  faire remarquer :  « Moi que vous esquiviez hier, me voici un interlocuteur incontournable’‘. Déby doit se tordre de rire devant ses bouffons à qui il peut dire : « Voyez-vous les Français me courent après ». Certainement avec son allié El-Béchir du Soudan ils se sont chuchoté les suites du traquenard dans lequel il faut piéger les Français.

Pour Déby comme El-Béchir leur seul et unique souci, c’est de protéger leur pouvoir. La situation en Centrafrique ne les rassure guère. La Seleka constituée à la va-vite pour le besoin de la cause était accompagnée de plusieurs résistants tchadiens qui cherchaient justement à se lancer en direction du Tchad une fois qu’un nouveau pouvoir s’installait en Centrafrique. Déby et El-Béchir qui ont comploté contre cette même rébellion ne voudraient jamais que celle-ci trouve un terrain d’action. C’est pour cette raison que Déby n’était pas pour Michel Djotodia au départ celui-ci était plus soutenu par la France que par Déby.  Très vite, Déby a changé de veste et pour se rapprocher de nouvel homme fort de Bangui. A qui, il procure des gardes du corps et de l’argent.

Par la même occasion, il profite de faire la chasse aux opposants tchadiens. Plusieurs d’entre eux sont arrêtés et transférés au Tchad. Heureusement en dehors d’Ismail Idriss ancien collaborateur de Mahamat Nour Abdelkerim du FUC (Front uni pour le changement),  qui a été arrêté et transféré, les autres dirigeants connus ont quitté Bangui.

Au fait, où sont les autres composantes de la Seleka, les Soudanais,  les autres Tchadiens ? Où sont les armes lourdes où sont les véhicules sur lesquels ils sont montés ? Où est le désarmement ? Celui qui aura répondu à ces questions peut envisager la tâche rude qui attend le Français en Centrafrique.

Les Tchadiens disent “ adoukhoulou fichabakatou haine wa lakine atta amoulou fil khouroudji ”.

Les jours à venir sont pleins de surprises et d’événements pour la France tout comme pour le Tchad, nous saurions alors qui sera le gagnant dans cet imbroglio à plusieurs facettes et dimensions.

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  • Mahamat Djarma Khatir (1943), homme politique tchadien également appelé Sheikh Aboulanwar, ancien maire de Fort-Lamy et membre du Front de libération nationale du Tchad, s’est engagé par la suite dans la rébellion armée tchadienne dans le but de renverser Idriss Déby.
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djarmaacheikh

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